Le général Pathé Seck part avec les honneurs de la guerre

Afriquinfos Editeur
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Ce n’est pas parce que, au dernier obstacle, le cheval trébuche après avoir franchi avec succès tous les autres qui s’étaient dressés sur son chemin, que le cavalier a démérité.

Au contraire, en toute sportivité, surtout si l’on est en matière d’équitation, il convient de saluer son excellent parcours. C’est ainsi  tout comme il peut arriver aussi qu’après avoir mené la course en tête, un athlète fasse un faux-pas à quelques mètres de la ligne d’arrivée… Ces deux images peuvent assurément s’appliquer au général Pathé Seck, ci-devant ministre de l’Intérieur qui, après un parcours professionnel militaire sans faute, a donné l’impression d’avoir raté sa sortie en étant éjecté sans gloire de sa « station » ministérielle. Bien évidemment, ce n’est là que pure illusion car si le général Pathé Seck n’a pas réussi sa mission à la tête du ministère de l’Intérieur — encore que… ! —, c’est avant tout la faute à pas de chance. En effet, qu’y pouvait-il bien, le brave homme si, après avoir annoncé urbi et orbi qu’ils allaient prendre d’assaut la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss tel jour et à telle heure pour libérer leur  guide spirituel, les « thiantacounes », disciples de Cheikh Béthio Thioune, avaient finalement décidé de faire une « blitzkrieg » destructrice dans le centre-ville de Dakar ? Après enquête, les services de renseignements incriminés avaient été disculpés, la faute étant plutôt imputée à la Direction de la Sécurité publique — la police en tenue — dont le patron, le divisionnaire Mafall Ndiaye, avait été relevé de ses fonctions.  Pour cette première négligence, le prédécesseur du général Pathé Seck avait été limogé.

Deuxième faux pas de la Police : Bien qu’interdit de sortie du territoire national par le procureur spécial de la Cour de répression de l’Enrichissement illicite (CREI), le député Oumar Sarr, coordonnateur national du Parti Démocratique sénégalais (et ancien mari de l’actuel Premier ministre !) réussit à tromper la vigilance de ses anges-gardiens alors qu’il se trouvait dans son fief de Dagana et à traverser le fleuve Sénégal pour se retrouver en territoire mauritanien. De là, il embarque dans un avion pour atterrir sur le tarmac de l’aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar devant des agents de la Police de l’Air et des Frontières qui n’en revenaient pas et sous les vivats de ses partisans venus à l’accueil ! Pour ce pied-de-nez incroyable, c’est le patron de la Police nationale lui-même, le contrôleur général Codé Mbengue, qui a payé de son poste en étant limogé. Première tâche sur la tenue du Général.

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Troisième affaire qui a fait désordre au niveau de la Police dont l’image a été définitivement éclaboussée : l’accusation de trafic de drogue portée contre son nouveau chef, celui-là même qui avait succédé au contrôleur général Codé Mbengue : le divisionnaire de classe exceptionnelle Abdoulaye Niang. Pour avoir déclaré publiquement, en réponse à une interpellation sur cette dernière affaire, que c ‘était une guerre fratricide entre policiers dont il n’entendait pas se mêler, le Général, qui n’est guère habitué à la communication pour    avoir de tout temps évolué dans la Grande muette, a commis une bourde qui lui a été en définitive fatale.

Dans les deux cas, il paye finalement pour des fautes commises par des policiers mais que, en tant que ministre de l’Intérieur, et donc en tant que politique, il a été obligé d’endosser.

Or, justement, ce terrain de la politique est trop glissant pour ce brillant général plus habitué aux champs de bataille, en tout cas à la traque contre le grand banditisme, la défense de l’intégrité du territoire dans le cadre de la lutte contre le MFDC en Casamance, plus à l’aise dans la bataille contre la criminalité transfrontalière en tant que militaire que dans les habits de ministre de l’Intérieur avec une casquette politique. Car le ministère de l’Intérieur, au Sénégal, c’est aussi non seulement celui des cultes mais aussi, à travers la Direction de la Protection civile, celui chargé de la lutte contre les inondations et les calamités naturelles.

Sans compter que c’est aussi le ministère de tutelle des sapeurs-pompiers et, last but not least, celui qui est chargé de la lourde machinerie de l’organisation des élections ! Entre ces différentes missions finalement très civiles, et celle consistant à assurer la sécurité des personnes et des biens — qui est la seule en réalité à revêtir un caractère quelque peu militaire —, le général Pathé Seck était quelque peu perdu. En tout cas, il n’était pas dans son élément. A preuve, on l’a vu, lui le fringant officier diplômé de la prestigieuse académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, en France, se prosterner pratiquement devant d’obscurs marabouts. Et ce à de multiples reprises.

A ce propos, mi-2012, lorsque les terroristes islamistes avaient fini d’occuper le Nord du Mali et que les forces de défense et de sécurité nationales avaient été mises sur le pied de guerre, nous avions écrit un article provocateur intitulé « le général Pathé Seck redevient enfin ministre de l’Intérieur ! » Dans ce papier, nous soulignions le fait que, au lieu d’être mobilisé pour assurer la sécurité des Sénégalais, le brave général passait le plus clair de son temps à présider des Crd (comités régionaux de développement) et Cdd (comités départementaux de développement) pour préparer des « magals » et des « gamous » !

Dans ces conditions, évidemment, on ne s’étonnera pas du fait que son attention relativement aux problèmes sécuritaires se soit relâchée et qu’il ne se soit pas suffisamment penché sur les problèmes de la Police. Au vrai, tant que le ministère de l’Intérieur sera un fourre-tout et tant que son titulaire embrassera trop, il sera difficile à ce dernier de bien étreindre. Par conséquent, le général Pathé Seck pouvait difficilement réussir sa mission essentielle, celle relative à la sécurité, parce que tout simplement on l’avait encombré de trop de missions accessoires et finalement très civiles.

Et puis, sa rigueur toute militaire, son esprit carré, sa conception de la discipline, son sens de l’honneur… tout cela détonnait dans un milieu où, la fourberie, l’entourloupe, la souplesse d’échine et les complots sont rois.

Bien qu’ayant été un des plus grands patrons de la gendarmerie nationale, malgré son brillant cursus militaire et ses excellents états de services dans l’Armée, le général Pathé Seck était comme un soldat perdu au milieu de cette faune de civils rétifs à l’autorité. Et où les coups bas sont légion !

Cela dit, ce n’est pas parce qu’il a trébuché dans cette ultime mission sur un théâtre d’opérations qui lui est totalement inconnu, que le général Pathé Seck a échoué. Diplômé, on l’a dit, de  l’Ecole militaire spéciale de Saint-Cyr et de l’Ecole  des officiers de gendarmerie de Melun (en France), breveté de l’Ecole de guerre (le prestigieux BEMs) de Paris, diplômé de l’Institut des hautes études de la défense nationale de Paris, le général Pathé Seck faisait partie de la crème des officiers de l’Armée nationale. Sur le plan universitaire, aussi, c’est une tête puisqu’il est titulaire d’un Dea en Histoire obtenu à l’institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, en France, d’une maîtrise en lettres option Histoire de l’UCAD de Dakar et d’une autre maîtrise, de droit public cette fois-ci…

Tout cela pour dire que ce n’est pas parce que sa mission comme ministre de l’Intérieur — où il avait atterri après avoir pris sa retraite de l’Armée depuis longtemps — n’a pas été réussie à 100 % que cela doit éclipser une excellente carrière militaire  de plus de 40 ans. Pour toutes ces raisons, nous nous plaisons à saluer chapeau bas la sortie gouvernementale de ce général auquel la Nation doit tant pour les brillants services qu’il lui a rendus. Un général qui mérite de partir avec les honneurs de la guerre. Reposez-vous bien, mon Général. Surtout, on espère que ce n’est qu’un au revoir !

Mamadou Oumar NDIAYE

Le Témoin, hebdomadaire sénégalais
Édition N° 1136 ( SEPTEMBRE 2013)