‘Nous n’avons pas assez de nourriture’: assis sous un abri de fortune, Moussa Akele tue le temps en mâchant du khat. Il y a plus d’une semaine, ce père de cinq enfants, comme des dizaines de milliers de personnes, a dû fuir les séismes qui secouent plusieurs régions d’Ethiopie depuis de longues semaines.

Cet homme de 40 ans était chez lui à Kabanna, en région Afar, à environ 250 km au nord-est de la capitale Addis Abeba, lorsque la terre a tremblé fin décembre. ‘Cela a provoqué une panique générale et a détruit nos maisons. Les gens étaient terrifiés’, témoigne-t-il. Depuis plusieurs semaines, de fréquents tremblements de terre, dont l’un de magnitude de 5,8 sur l’échelle de Richter, secouent les régions rurales Afar et Oromia. Les autorités, qui craignent la rupture d’un barrage et l’éruption d’un volcan, le mont Dofan, ont procédé à l’évacuation de plusieurs dizaines de milliers de personnes.
L’Ethiopie est régulièrement secouée par des séismes à cause de sa situation le long de la vallée du Rift, l’une des régions à la plus intense activité sismique au monde. Avec sa famille, Moussa Akele a trouvé refuge à une vingtaine de km de Kabanna et vit, comme plusieurs milliers d’autres personnes, sous une tente plantée au milieu d’une végétation aride.
-‘Pénuries d’eau’-
Des camions chargés d’eau et de nourritures arrivent ponctuellement. ‘Mais il y a beaucoup de monde et ce n’est pas suffisant’, déplore Moussa Akele, tout en décrivant ‘de graves pénuries d’eau’. Sous un soleil de plomb et au milieu de la poussière charriée par les camions, plusieurs dizaines de femmes et d’enfants font la queue avec des jerricans devant les quelques citernes d’eau, où éclatent parfois des algarades.
La plupart des personnes déplacées sont des pastoralistes, qui ont dû laisser derrière eux leur bétail. Moussa Akele travaillait, lui, à l’usine de sucre, qui a été en partie détruite. ‘Nous avons été évacués de notre vie agréable et paisible, et vivons maintenant en mode survie’, lâche-t-il. Lorsqu’elle a dû évacuer sa maison, Assea Ali n’a pas eu le temps d’emporter quoi que ce soit. ‘Nous avons fui pour sauver nos vies’, relate cette femme de 26 ans, mère de deux enfants. ‘C’est comme cela que nous vivons désormais’, décrit-elle en pointant du doigt une petite tente avant de souffler: ‘Je suis sans espoir‘.

Sur une petite colline qui surplombe le camp, un centre de santé a été érigé par les autorités locales. Plusieurs femmes se pressent dès l’ouverture, notamment pour peser leurs enfants en bas âge. ‘Jusqu’à ce que le Gouvernement et les Agences de soutien comme l’Unicef ou l’Organisation mondiale de la santé interviennent, nous aidons les gens avec les ressources dont nous disposons’, explique Abokar Hassan, 24 ans.

Pour ce chargé de la réponse sanitaire, qui estime recevoir chaque jour entre 200 et 300 personnes, la principale préoccupation est d’éviter le développement du choléra.

-‘Lacunes’ –
Selon le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), les autorités éthiopiennes ont évacué plus de 60.000 personnes vivant dans des zones à risque, dont certaines à proximité d’un barrage. ‘Une réponse humanitaire globale est en cours, mais d’importantes lacunes subsistent’, note l’OCHA dans un communiqué publié le 11 janvier 2024. La région où les tremblements de terre se produisent est ‘connue pour être une zone volcanique, tectonique’, souligne auprès de l’AFP Cécile Doubre, sismologue à l’École et Observatoire des sciences de la Terre de Strasbourg (EOST), spécialiste de l’Afar.
‘Il n’y a pour le moment pas eu d’éruption mais il y a une propagation du magma sous la croûte terrestre, entre 0 et 15 kilomètres. Il se propage dans une grande fissure, d’environ 50 kilomètres, et c’est un évènement géologique très important’, poursuit-elle. Certains tronçons de route portent les stigmates de l’activité sismique. L’asphalte de la piste qui mène à Kabanna s’est affaissé, et est balafré à plusieurs endroits. Un silence de plomb enveloppe la ville, seulement rompu par les meuglements de boeufs qui errent dans les rues désertes. Plusieurs maisons et échoppes construites en parpaing se sont effondrées.
Malgré la situation, Moussa Akele garde espoir. ‘La peur et l’incertitude que nous vivons en ce moment ne sont que temporaires‘, veut-il croire.

© Afriquinfos & Agence France-Presse