Libreville (© 2025 The Conversation)-La prochaine élection au Gabon sera un test crucial pour déterminer si le pays va amorcer une véritable transition démocratique ou elle ne sera que de façade, permettant aux militaires de rester aux commandes, sous couvert d’un choix démocratique.
Brice Oligui Nguema, est devenu président depuis son coup d’État contre Ali Bongo en août 2023. Nguema et sa junte militaire avaient promis de rendre le pouvoir aux civils à la fin d’une transition militaire de deux ans.
Mais Oligui Nguema a pris de vitesse les opposants sur deux fronts. Tout d’abord, il a annoncé les élections six mois plus tôt que ne le prévoyait l’accord de transition. Deuxièmement, début mars, il a démissionné de son poste de général et s’est présenté comme civil et donc éligible à la candidature. Il est en lice contre sept autres candidats, dont l’ancien Premier ministre du Gabon, Alain-Claude Bilie-By-Nze.
En tant que politologue spécialiste de la politique en Afrique, j’ai fait des recherches et publié des ouvrages sur la politique gabonaise.
Les autres candidats, peu connus, manquent de moyens, d’appareils de parti et de relais sur le terrain, notamment dans un pays largement recouvert par la forêt. Ce qui fait que la bataille semble surtout se jouer entre ces deux figures : Oligui Nguema and Bilie-By-Nze issus du régime précédent. Ils se présentent comme adversaires, mais sans jamais s’attaquer frontalement.
Quel que soit le vainqueur, les Gabonais verront émerger un nouveau gouvernement composé de visages connus du pouvoir précédent. La seule vraie nouveauté sera sans doute la fin de la dynastie Bongo, qui aura régné sur le pays pendant 56 ans.
Huit candidats retenus
Sur les 23 dossiers de candidature déposés auprès de la Commission nationale d’organisation des élections (CNOER), la Cour constitutionnelle en a validé, le 27 mars : Thierry Yvon Michel Ngoma, Axel Stophène Ibinga Ibinga, Alain Simplice Boungoueres, Zenaba Gninga Changing, Stéphane Germain Iloko, Joseph Lapensée Essigone, Bilie-By-Nze et Oligui Nguema.
Le Parti démocratique gabonais (PDG), au pouvoir depuis l’instauration du régime à parti unique par le défunt Omar Bongo (1967-2009), devait initialement être écarté du scrutin. Mais après des mois de tractations avec les caciques – anciens ministres et « grandes figures» locales du parti – du régime déchu, la junte a finalement autorisé sa participation en échange d’une consigne de vote à l’endroit des leurs militants et sympathisants à voter pour Oligui Nguema.
Oligui Nguema a ressuscité l’ancien parti au pouvoir et s’appuie aujourd’hui sur son puissant appareil. Face à lui, Bilie-By-Nze tente de se démarquer en se présentant comme le «candidat de la rupture».
Au-delà de la posture publique, il ne semble pas y avoir beaucoup de différence entre les deux.
Un scrutin encadré par un nouveau code électoral et des technologies de pointe
Le scrutin est encadré par un nouveau code électoral, entré en vigueur en janvier 2025, qui prévoit plusieurs étapes clés visant à garantir la transparence et l’équité du processus.
Les citoyens s’inscrivent pour voter, en fournissant une pièce d’identité et un certificat de résidence. Les listes électorales sont en grande partie complètes depuis le référendum constitutionnel de novembre 2024.
Le scrutin reposera sur un fichier électoral biométrique permanent. Chaque électeur sera ainsi identifié grâce à cette biométrie. Les technologies de l’information et de la communication seront utilisées à toutes les étapes pour renforcer la fiabilité, la transparence et l’efficacité du vote.
Les candidats et leurs partis politiques sont autorisés à faire campagne en présentant leurs projets et propositions. Cette période de campagne est réglementée pour garantir une compétition équitable, avec des restrictions sur le financement de la campagne et la couverture médiatique.
Des bureaux de vote seront mis en place dans l’ensemble du pays. Ils seront dotés d’équipements technologiques avancés. Les agents électoraux, préalablement formés, encadreront les opérations et assisteront les électeurs. Ces derniers recevront des bulletins avec tous les candidats en lice et effectueront leur choix en toute confidentialité dans des isoloirs.
Une fois les bureaux fermés, le dépouillement des voix se fera sous surveillance stricte, en présence d’observateurs et de représentants des partis, pour éviter toute tentative de fraude. Cette étape est régie par l’article 90 du code électoral.
Les résultats officiels sont annoncés par la commission électorale, en présence d’observateurs chargés de valider le processus. Malgré l’existence de systèmes de comptage biométrique de haute technologie, l’annonce des résultats officiels peut prendre jusqu’à deux semaines, surtout si les résultats sont serrés.
Tout contentieux ou recours sera examiné selon les procédures légales prévues par l’article 105 du code électoral.
Des doutes subsistent
Malgré la mise en place de ces systèmes, des figures de l’opposition (dont l’ancien ministre de l’Intérieur Jean-Remy Yama) ont exprimé des doutes quant à l’équité du processus.
Historiquement, les candidats adoubés par le PDG ont toujours remporté les élections. Cela fait de lui, statistiquement, le favori.
Deuxièmement, certains leaders de l’ancien régime, aujourd’hui passés dans l’opposition, dénoncent la décision d’Oligui Nguema de convoquer l’élection plus tôt que prévu. Selon le calendrier initial de la transition, le scrutin devait se tenir en août 2025. Ce changement de date est perçu comme une stratégie classique visant à prendre de court l’opposition et à l’empêcher de se rallier derrière un candidat unique susceptible de concurrencer le président sortant.
Supervision
Forte de son expérience d’observateur électoral au Gabon, la Croix-Rouge gabonaise prévoit de mobiliser une équipe de 200 volontaires, en complément de son personnel habituel. Cette mobilisation vise à pallier le manque de ressources humaines observé lors de l’élection de 2023 et à soutenir les autorités.
Des observateurs internationaux, notamment de l’Union africaine et des Nations unies, sont également attendus. Leur présence vise à garantir que l’élection se déroule dans des conditions libres, transparentes et équitables. Ce qui constitue un niveau de contrôle supplémentaire.
Les autorités ont renforcé les mesures de sécurité sur l’ensemble du territoire afin d’assurer un climat apaisé, permettant aux citoyens d’exercer leur droit de vote sans pression ni intimidation.
Si le référendum organisé en novembre 2024 peut servir d’indicateur, les partenaires internationaux s’attendent à une présidentielle pacifique, avec une issue claire.
Tout laisse à penser que cette élection pourrait marquer une transition sereine du régime militaire vers un pouvoir civil. Cela est d’autant plus vrai que la prochaine administration sera dirigée par des membres issus de l’ancien appareil d’État.
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