(© 2025 The Conversation)-La tendance baissière de l’aide étrangère à l’Afrique oblige le continent de réévaluer son approche en matière de prestation des soins de santé.
Les pays africains font face à un double défi : une forte prévalence des maladies transmissibles, comme le paludisme et le VIH/sida, conjuguée à une progression rapide des maladies non transmissibles. Pourtant, les systèmes de santé du continent manquent de ressources pour garantir des soins accessibles et abordables à leurs populations.
L’aide a historiquement joué un rôle déterminant dans le soutien des systèmes de santé en Afrique. Elle a financé des domaines clés, notamment la recherche médicale, les programmes de traitement, les infrastructures de santé et les salaires du personnel de santé. En 2021, la moitié des pays d’Afrique subsaharienne dépendaient d’un financement extérieur pour plus d’un tiers de leurs dépenses de santé.
À mesure que l’aide diminue, une réalité s’impose : de nombreux gouvernements africains ne parviennent plus à assurer une couverture sanitaire universelle ou à faire face à l’augmentation des coûts des soins de santé.
Cette diminution des financements compromet les services de santé et menace d’effacer des décennies de progrès sanitaires sur le continent. Un changement fondamental de la stratégie en matière de santé est nécessaire pour faire face à cette crise.
Le dicton bien connu « mieux vaut prévenir que guérir » s’applique non seulement aux résultats en matière de santé, mais aussi à l’efficacité économique. La prévention des maladies coûte bien moins cher que leur traitement.
En tant que spécialiste des maladies infectieuses, j’ai pu constater à quel point des pathologies évitables peuvent peser lourdement sur les systèmes de santé et sur les ménages.
Par exemple, chaque année, les maladies tropicales négligées entraînent des pertes économiques mondiales de plus de 33 milliards de dollars américains. De nombreuses affections, telles que la filariose lymphatique, nécessitent souvent des soins à vie. Cela fait peser un lourd fardeau sur les familles et pousse les systèmes de santé nationaux à leurs limites.
Les pays africains peuvent réduire leurs dépenses de santé grâce à la prévention des maladies. Cela nécessite souvent moins de personnel de santé spécialisé et des interventions moins coûteuses.
Pour faire face aux contraintes financières, les pays africains doivent repenser et réorganiser leurs systèmes de santé.
Trois domaines clés dans lesquels des stratégies préventives rentables peuvent être efficaces se dessinent : l’amélioration de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène ; l’extension des programmes de vaccination ; et l’intégration de la prévention des maladies non transmissibles dans les services de santé communautaires.
Un changement de cap dans la prestation des soins de santé
Améliorer les infrastructures d’eau, d’assainissement et d’hygiène
De nombreuses maladies répandues en Afrique se transmettent par contact avec de l’eau et des sols contaminés. Investir dans les infrastructures d’eau potable, d’assainissement et d’hygiène (WASH) est une opportunité. À lui seul, cet investissement peut prévenir toute une série de maladies telles que les vers parasites et les maladies diarrhéiques. Il peut également améliorer le contrôle des infections et renforcer la lutte contre les épidémies et les pandémies.
Actuellement, la couverture WASH en Afrique reste insuffisante. Des millions de personnes sont exposées à des maladies évitables. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), rien qu’en 2020, environ 510 000 décès auraient pu être évités en Afrique grâce à l’amélioration de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement. Parmi ces décès, 377 000 étaient dus à des maladies diarrhéiques.
Les conditions sanitaires précaires contribuent également à des problèmes de santé secondaires, tels que la malnutrition et les infections parasitaires. Environ 14 % des infections respiratoires aiguës et 10 % de la charge de morbidité liée à la malnutrition – telles que le retard de croissance – sont liées à des conditions d’hygiène et d’assainissement insalubres.
En investissant dans des infrastructures d’hygiène et d’assainissement fonctionnelles, les gouvernements africains peuvent réduire considérablement l’incidence de ces maladies. Cela permettra de réduire les coûts des soins de santé et d’améliorer les résultats en matière de santé publique.
Produire localement des vaccins adaptés
La vaccination est l’une des interventions sanitaires les plus rentables pour prévenir les infections. Chaque année, les campagnes d’immunisation permettent de sauver plus de quatre millions de vies à travers le continent.
Pourtant, il existe un besoin urgent de vaccins ciblant des maladies répandues en Afrique, dont la lutte dépend encore fortement de l’aide extérieure. Les maladies tropicales négligées figurent parmi ces priorités.
Certains vaccins permettent également de prévenir certaines maladies non transmissibles. C’est le cas du vaccin contre le papillomavirus humain (HPV), qui peut prévenir jusqu’à 85 % des cas de cancer du col de l’utérus en Afrique.
La vaccination contre le HPV est également plus rentable que le traitement du cancer du col de l’utérus. Dans certains pays africains, le coût par dose de vaccin est en moyenne inférieur à 20 dollars américains. Les coûts de traitement peuvent atteindre 2 500 dollars américains par patiente, comme c’est le cas en Tanzanie.
Il est essentiel d’investir dans un écosystème vaccinal complet. Cela passe notamment par le renforcement de la recherche locale et la création de pôles d’innovation. Les organismes de réglementation à travers le continent doivent également être harmonisés et des marchés créés pour attirer les investissements dans les vaccins.
Intégrer la prévention des maladies dans les services de santé communautaires
Les systèmes de santé africains ont été historiquement conçus pour lutter contre les maladies transmissibles, telles que la tuberculose et le VIH. Cette approche les a rendus peu adaptés à la prise en charge des maladies non transmissibles, en forte augmentation, telles que le diabète de type 2 ou les maladies cardiovasculaires.
Ils se sont donc retrouvés mal équipés pour faire face au poids croissant des maladies non transmissibles, telles que le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires. Une approche rentable consiste à intégrer la prévention et la prise en charge de ces maladies dans les programmes de santé communautaire existants.
Les agents de santé communautaires fournissent actuellement des interventions à faible coût pour des problèmes de santé tels que la pneumonie et le paludisme. Ils peuvent également être formés pour traiter les maladies non transmissibles.
Dans certains pays, les agents de santé communautaires comblent déjà cette lacune. Les impliquer davantage dans les stratégies de prévention renforcera les services de santé primaires en Afrique. Cet investissement permettra, à terme, de réduire le fardeau financier associé au traitement des maladies chroniques sur le long terme.
Soigner au lieu de prévenir : une approche trop coûteuse
Selon les estimations actuelles, d’ici 2030, 371 milliards de dollars supplémentaires par an – soit environ 58 dollars par personne – seront nécessaires pour fournir des services de santé primaires de base dans toute l’Afrique.
À cela s’ajoute l’augmentation du coût mondial des soins de santé, qui devrait atteindre 10,4 % rien que cette année. Cela marque la troisième année consécutive de hausse des coûts. En Afrique, les coûts sont également liés à la croissance démographique et au fardeau croissant des maladies non transmissibles.
En mettant l’accent sur la prévention plutôt que sur le traitement, les pays africains peuvent rendre les soins de santé accessibles, équitables et financièrement viables malgré la baisse de l’aide étrangère.
The Conversation