Côte d’Ivoire : L’impossible réconciliation nationale ?

Afriquinfos Editeur
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Le 10 juillet, la justice ivoirienne a confirmé les charges contre 84 proches de M. Gbagbo traduits devant la Cour d'assises pour crimes de guerre, crimes de sang, crimes économiques, troubles à l'ordre public, atteinte à la sûreté de l'Etat, entretien de bandes armées et génocide lors de la crise post- électorale.

Deux jours plus tôt, en visite dans le nord du pays, son fief électoral, le président Alassane Ouattara a appelé le Front populaire ivoirien (FPI, de Laurent Gbagbo), à "demander pardon" aux victimes de la crise post-électorale et à "prendre le train" de la réconciliation nationale.

La réponse des partisans de Laurent Gbagbo ne se fit pas attendre.

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Qui doit demander pardon à qui ?

Dans un communiqué, le FPI s'est "insurgé" contre les propos d'Alassane Ouattara, l'appelant à se repentir.

Il a plutôt accusé le président actuel, qu'il présente à mots couverts comme le commanditaire de la rébellion armée de 2002 ayant contribué plus tard à la chute de Laurent Gbagbo, d'avoir " introduit la violence" et "le tribalisme nauséeux" dans la politique en Côte d'Ivoire, sans avoir jamais "demandé pardon".

Le FPI s'est en outre "indigné" que 84 de ces militants soient déférés à la Cour d'Assises alors que "les vrais criminels politico-militaires jouissent d'une liberté ostentatoire".

Le FPI qui ne rate aucune occasion de dénoncer une "justice à deux vitesses", une "justice des vainqueurs" signale qu'aucune poursuite n'a été engagée jusqu'ici contre des partisans du président Ouattara alors même que la Commission nationale d'enquête mis en place par le gouvernement ivoirien a révélé de graves crimes commis par les partisans de M. Ouattara lors de la crise post-électorale.

Sylvain Miaka Ouretto, le président intérimaire du FPI, s'interroge : "Demander pardon à qui ? Aux parents des victimes ? Et les autres victimes, qui va leur demander pardon ?".

Pour lui, "ce n'est pas un camp, c'est tout le monde qui est en cause" dans les événements meurtriers de 2010-2011.

Pour les partisans de Laurent Gbagbo, les actes du pouvoir sonnent comme un coup porté à la réconciliation nationale.

"La justice ivoirienne semble vouloir montrer qu'elle est peut- être capable de rendre une justice dans un état de droit (mais) quand même 84 pro-Gbagbo qui vont être jugés devant une Cour d'assises, ça fait lourd et ça va renforcer l'opinion de ceux qui pensent qu'on est dans un contexte de justice des vainqueurs et peut-être échauffer les esprits", commente un expert en relations internationales.

Il est presque certain que la décision de la justice ivoirienne ne va pas "détendre l'atmosphère".

Et pour cause, estime un cadre du FPI, "la réconciliation, ça se manifeste par des actes concrets".

"On est fatigués des beaux discours, il faut accompagner les discours par des actes concrets et nous ne pensons pas qu'Alassane Ouattara pose des actes concrets allant dans le sens de la réconciliation", soutient-il.

Damana Adia Pickass, cadre du FPI exilé au Ghana, ne dit pas autre chose, accusant Alassane Ouattara de ne pas oeuvrer sincèrement pour la réconciliation nationale.

"Il ne prouve pas qu'il est honnête ou sincère dans ce dialogue ", affirme-t-il.

Amnistier pour réconcilier ?

Au FPI, il n'y a pas mille solutions pour que la Côte d'Ivoire retrouve sa cohésion et selon un analyste, pour les cadres de ce parti "il n'y aura de réconciliation que s'il y a amnistie et voir même libération de Laurent Gbagbo" en détention à La Haye.

Effectivement, martèle Sylvain Miaka Ouretto, "il faut une loi d'amnistie générale pour que le peuple puisse pardonner à la fois les pro-Gbagbo qui seraient en cause et les pro-Ouattara qui sont nombreux à avoir commis des crimes".

Si pour le FPI, l'amnistie est le point de départ des actions d'apaisement et un impératif à la réconciliation, pour le gouvernement, l'amnistie ne peut constituer que le couronnement d'un processus.

"Prenant en compte la douleur encore vivace des victimes de la crise post-électorale et le précédent d'impunité qu'elle pourrait désormais consacrer, la délégation gouvernementale suggère que l'amnistie soit l'aboutissement d'un processus qui devra franchir les étapes de la justice, de la repentance et du pardon", souligne le rapport des précédentes négociations entre le gouvernement et le FPI.

Pour Miaka Ouretto, le chef de l'Etat doit "s'élever au-dessus des considérations partisanes" pour ne voir que "l'intérêt général " du pays.

Et il a des soutiens de taille, avec les appels de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) et du président du Mouvement des forces d'avenir (MFA), Anaky Kobena, allié d'Alassane Ouattara au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Ouattara appelé au compromis

"La réconciliation est un tout", fait savoir Anaky Kobena qui appelle Alassane Ouattara à prendre "les décisions politiques d'exception" pour y arriver.

"Organiser des assises n'est pas le grand big bang politique et social auquel le peuple aspire en silence", relève Anaky Kobena, soulignant qu'"il est grand temps que le chef de l'Etat se décide, s'informe largement et prenne en compte ce qui est la vox populi en Côte d'Ivoire".

"Le président de la République est la clé de voûte de nos institutions, lui seul décide en dernier ressort", a renchéri le président CDVR, Charles Konan Banny, à l'issue d'un colloque sur les causes de la crise ivoirienne.

"Les Ivoiriens attendent de lui le saut qualitatif qui sauvera leur pays", a-t-il ajouté non sans affirmer que "dans ce qui est arrivé à la Côte d'Ivoire, les torts sont partagés" et que "dès lors, il importe que tous ceux qui ont commis des violations des droits humains le reconnaissent et fassent acte de repentance".

"Le pardon des victimes est à ce prix", a prévenu Charles Konan Banny.

En tout état de cause, le FPI a appelé le gouvernement à conduire avec lui des négociations qui ne soient pas "l'otage d'un simple effet d'annonce et d'une communication politique de mauvais aloi", pour favoriser la réconciliation nationale.

Avant toute reprise du dialogue avec le gouvernement, le parti tient à "demeurer ferme et sans transiger" sur ses exigences relatives à la "libération immédiate et sans condition" du leader de sa jeunessee, Justin Koua, à l'arrêt des "persécutions", des " enlèvements" et de l'emprisonnement de ces membres, au paiement effectif des arriérés au titre du financement public des partis politiques, au dégel des avoirs, à la désignation "consensuelle" d'un "arbitre" et d'un "comité de suivi" par les deux parties.