Ici, à perte de vue, ce sont des cultures de riz. Là, des champs de cannes à sucre, ou encore des bananeraies, des plants de manioc, haricots, des palmeraies. Nous sommes à Gihanga, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Bujumbura.
Pour acheminer tous ces produits au marché, rien de mieux qu'un vélo. À 180 000 Fbu (soit près de 130 dollars) un flambant neuf, et le tiers pour une acquisition d'occasion, la bicyclette est à la portée des habitants du coin, par rapport à une moto (douze fois le prix), une voiture (trente fois). Et ici, contrairement à ce qui se passe dans le reste du pays, les femmes, comme leurs compatriotes mâles, se déplacent en vélo.
L’explication d’une telle exception ? Boniface Nyandodo, 72 ans, installé à Gihanga depuis 1962, ébauche une réponse : « A cette époque, les femmes ne montaient pas à bicyclette. Le changement est intervenu dans les années 1970. Pour quelle raison ? Je l’ignore. »
Rénovat Birakunda, 64 ans, se fait plus précis : « Notre région, très fertile, a été intensivement exploitée dès les années 1960. Les gens se sont enrichis, les mœurs se sont relâchées… »
Venuste Munganira, vendeur de fougères, fait remarquer que « sans vélo, on ne peut pas se marier. Aucune fille ne voudra de vous ». La dot doit impérativement comprendre un vélo pour la future épouse…
Les femmes elles-mêmes ont compris l’intérêt qu’elles pouvaient tirer de la situation pour améliorer l’ordinaire, se prendre en charge, devenir plus autonomes. Témoignage d'Odette Nsabiyaremye, 28 ans : « Je monte à vélo depuis l’âge de 7 ans. A Gihanga, le vélo, c'est la vie. Nous allons chercher l’eau et le bois de chauffe à bicyclette. Les hommes peuvent prendre jusqu’à 180 kilos de charge sur leurs deux-roues. Nous [les femmes] nous limitons à 70 kilos ».