Bénin : Mathieu Kerekou, un modèle à imiter pour la démocratie en Afrique

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Apres deux décennies à la tête de l’ex-Dahomey, celui qui avec le temps a pris un malin plaisir à s’afficher avec des lunettes fumés, a profondément marqué la mémoire de son peuple. Dans l’esprit des Béninois, l’enigmatique personne de Mathieu Kerekou demeurera longtemps symbole des turbulences et transformation de la vie politique post-coloniale du Bénin.

Révolutionnaire, dictateur, réformateur et démocrate, Mathieu Kerekou a incarné au gré du temps et des circonstances divers personnages qui lui ont valu le surnom du «caméléon».

 Dès qu’on le voit, le visage sévère de ce passionné des «col Mao» suscite peur mais aussi  respect .Un trait sans nul doute dû à sa carrière de militaire.

Originaire du nord-ouest du Bénin né en 1933, Mathieu Kérékou suit une formation  militaire qui le conduit au Mali et au Sénégal. Il poursuit son parcours en France, puis sert d'abord dans l’armée française avant de revenir exercer dans l'armée du Dahomey où il obtint le grade de major. En 1972, avec d’autres officiers, Kérékou participe à un putsch qui le porte à la présidence de son pays. Une nouvelle période commence ainsi pour l’ex-Dahomey, les putschistes imposent le marxisme-léninisme comme idéologie officielle de l’État, ce qui ne fait naturellement pas l’unanimité des Béninois.

En 1977, le régime est déstabilisé par une tentative de coup d’État. Le gouvernement s’engage alors dans une politique de répression contre les opposants et surtout contre les intellectuels qui fait fuir certains du pays. La police politique fait régner la terreur, torture et emprisonne les récalcitrants dans la tristement célèbre prison de Ségbana, dans le nord du pays. À la fin des années 1980, la situation économique est catastrophique et le pays doit passer par le FMI pour redresser les comptes de la Nation. Les mesures draconiennes imposées par le gouvernement déclenchent des grèves massives d’étudiants et de fonctionnaires, paralysant le pays.

Après des mois de contestations populaires et de pressions diverses, le président Mathieu Kérékou met fin au règne du parti unique, abandonne la doctrine marxiste-léniniste et convoque la Conférence nationale des forces vives de la nation, qui doit définir les fondements d’un ordre nouveau, en février 1990. Cette assemblée inédite réunissant les 493 délégués de l’Opposition et représentants de la Société civile, sous la présidence de Mgr Isidore de Souza, archevêque de Cotonou, est la toute première d’une longue série en Afrique !

Le dictateur reconnaît publiquement ses erreurs, adopte un profil bas et se soumet à toutes les décisions de l’assemblée. À la clôture de la Conférence nationale, Kérékou accepte de mettre en œuvre toutes les recommandations dont la suspension de la Constitution de 1977, et la rédaction d’une nouvelle Constitution, amorçant le changement du régime. Une volte-face qui ne manque pas de surprendre le peuple béninois.

« C’est sa double facette qui rend Kérékou un personnage politique fascinant », témoigne  Alioune Fall, professeur du droit constitutionnel et des institutions politiques africaines à l’Université Montesquieu de Bordeaux. Les reformes opérées par la Conférence ont conduit à l’organisation des élections démocratiques en 1991. Mathieu Kerekou battu à la présidentielle par son Premier ministre d'alors, Nicephore Soglo, se retire dans l’anonymat jusqu'à la fin du quinquennat de celui-ci en 1996. Cette résignation apporte une once de célébrité au «caméléon». Cinq ans plus tard, le général Kérékou devenu pasteur, revient sur la scène politique et réussit à battre à la présidentielle Nicéphore Soglo, avec le soutien de la quasi-totalité des opposants, qui se rallient à sa candidature.

Légitimé par la volonté populaire, Mathieu Kérékou saura se fera réélire en 2001 pour un deuxième mandat de cinq ans. Durant ses deux mandats de 1996 à 2006, le président Kérékou a respecté de manière stricte la séparation des pouvoirs. Avec lui, la démocratie n’est pas un vain mot. Ainsi, la liberté de presse sous le général Kérékou a permis au Bénin de se hisser au deuxième rang au niveau africain, et parmi les meilleurs sur le plan mondial.

A l’issue de son deuxième mandat, la polémique n’a cessé d’enfler au Bénin autour de la révision de la Constitution du 11 décembre 1990, pour permettre au caméléon  de postuler pour un troisième mandat. Néanmoins, les élections de mars 2006 se déroulent normalement, et l'élection de Yayi Boni met fin au règne de Mathieu Kérékou. Retiré de la vie politique active depuis 2006, Kérékou partageait sa vie ces dernières années entre sa résidence de Cotonou et sa retraite à Natitingou, dans le Nord-Ouest avant de tomber gravement malade.

 Dernière phase d’une vie

Hospitalisé à Paris dans un état critique, il en était pourtant revenu en pleine forme, mais la maladie a finalement eu raison de lui ce 14 octobre. Homme, imprévisible, et, travailleur infatigable, doté d'un grand sens de l'humour, Kerekou est surtout un personnage charismatique qui a su dompter les Béninois et se faire une place de choix dans leurs cœurs.En 2011, lorsque la contestation de la liste électorale permanente informatisée (LEPI) était si vive, Kérékou n’a pas hésité à user de ce style humoristique qui lui est propre pour ramener toutes les parties à la raison.

Selon l'historien béninois, le Pr Félix Iroko, «la période coloniale au début du XXIème siècle, aucun homme politique n'aura marqué la République du Bénin aussi profondément et aussi durablement que Mathieu Kérékou».

Aujourd’hui, l’on peut affirmer que c’est grâce à lui, que le Bénin, pays  enclavé entre l’immense Nigeria et le minuscule Togo, est devenu modèle pour l’ensemble du continent. Le Bénin peut se vanter de l’avoir compté parmi ses fils.

 Larissa AGBENOU