Yaoundé (© 2025 Afriquinfos)- Première femme à exercer la profession d’avocat au Cameroun, Alice Nkom née le 14 janvier 1945 à Poutkak, a commencé sa carrière en défendant les victimes de discriminations et de violences policières. Alors qu’elle célébrait ses 80 ans ce 14 janvier 2025, cette figure de la Société civile, connue aussi pour son combat pour les droits des personnes LGBT, a été convoquée au service Central des recherches judiciaires de la Gendarmerie nationale, à Yaoundé.
Alice Nkom préside actuellement le Redhac (Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale) et, en cette qualité, elle est l’objet d’une plainte d’un certain Observatoire du Développement social qui l’accuse de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de financement du terrorisme. En cause, un forum sur la paix et la transition à laquelle elle a participé il y a cinq ans à Munich. Un forum organisé par une organisation de la diaspora camerounaise.
Après ses études au Cameroun, Alice Nkom a 18 ans lorsqu’elle arrive à Toulouse pour y étudier le droit. Elle est inscrite de 1963 à 1964 à la faculté de droit et de sciences économiques. Elle retourne ensuite au Cameroun, son pays natal, pour finaliser sa formation. Elle sort diplômée en 1968 de l’université fédérale du Cameroun. Elle est en 1969 la première femme avocate du pays. Elle ouvre un cabinet d’avocat à Douala, capitale économique du Cameroun.
Débuts de carrière et engagements couronnés de récompenses
La carrière d’avocate d’Alice Nkom commence à Douala. Elle est alors l’unique femme de la profession. Le métier d’avocat est en effet à l’époque réservé aux hommes et pour la plupart des hommes blancs. Elle se consacre au début de sa carrière à la défense des victimes de violences policières et de discriminations. Une loi anti-homosexualité est ajoutée au Code pénal camerounais en 1972. L’avocate décide alors de défendre les accusés d’homosexualité.
Militante du Social Democratic Front (SDF) en 1990, elle va plus tard se rallier au RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais). Dans l’optique de défendre la cause des veuves et des orphelins, elle préside l’association des avocates au Cameroun, dont elle est membre fondatrice2.
Elle fonde en 2003, l’Association de défense des homosexuels du Cameroun (Adefho). Elle défend en 2005, onze jeunes homosexuels emprisonnés, et en 2013, obtient le premier acquittement de deux jeunes homosexuels4 dans un pays où la pénalisation de l’homosexualité existe depuis 1972.
En 2011, elle défend un étudiant, Jean-Claude Mbede, condamné à 3 ans de prison pour l’envoi d’un texto à l’homme qu’il aimait. L’affaire fait grand bruit. Jean-Claude Mbede est libéré en 2012 et devient un symbole de la cause homosexuelle au Cameroun6. Il meurt en 2014, Alice Nkom accusant sa famille de l’avoir «laissé crever». Elle compte parmi les rares personnalités camerounaises à s’être investie sur le sujet. En 2012, The New Yorker la sacre «Africaine de l’année».
Un documentaire, Sortir du Nkuta (Sortir du placard), de Céline Metzger, lui est consacré. Ce combat lui attire les foudres d’un bon nombre de ses concitoyens ainsi que du gouvernement camerounais. Régulièrement menacée, comme le prouvent les multiples plaintes qu’elle a déposées, elle a choisi de se battre à plein temps pour les droits des homosexuels, notamment en attaquant la constitutionnalité de l’article 347 bis du Code pénal camerounais, qui condamne l’homosexualité de 6 mois à 5 ans de prison6. Elle a été récompensée en mars 2014 pour son travail de promotion des droits des homosexuels en Afrique par le prix des droits de l’Homme de la section allemande d’Amnesty international.
En 2013, elle est Lauréate du Prix Amnesty des droits de l’homme. En 2018, Lauréate avec le Tunisien Mounir Baatour du premier Prix pour la liberté, porté par les associations Idaho France, Mousse et Stop Homophobie, pour leur combat en faveur des droits des personnes LGBT.
Des voix dénoncent ‘’un harcèlement judiciaire’’ contre l’avocate émérite
Le 9 janvier 2025, l’ONG Amnesty avait par ailleurs interpellé les autorités camerounaises sur la situation des organisations de la société civile et plus particulièrement sur celle d’Alice Nkom, convoquée à plusieurs reprises par la préfecture et la gendarmerie. Fabien Offner, chercheur au bureau régional d’Amnesty, évoquait un «harcèlement judiciaire».
Deux autres avocats, Kah Walla et Emmanuel Simh, présents à l’événement de Munich, ont cosigné une lettre adressée au commissaire du gouvernement du tribunal militaire de Yaoundé. Ils y dénoncent des accusations « graves et fantaisistes » et demandent à être auditionnés aux côtés de leur consœur.
«Cette plainte est un instrument d’intimidation», affirme Kah Walla. Selon elle, cette démarche viserait à museler les voix critiques dans une année électorale clé pour le Cameroun, où la présidentielle est prévue en octobre 2025. Face à ce qu’ils considèrent comme une tentative de dissuasion politique, les avocats promettent de résister aux intimidations. «Nous n’accepterons ni violence, ni intimidation de la part d’un gouvernement dont la mission est de protéger les droits des citoyens», conclut Kah Walla, affirmant leur détermination à défendre la liberté et la justice en cette année cruciale.
Vignikpo Akpéné