Retrouver ses racines : pour de très nombreux Afro-Américains, voilà quelque chose qui dépasse même l’obsession et tient véritablement du traumatisme. Un traumatisme résultant de l’esclavagisme, qui, en faisant venir de force des millions d’Africains au Nouveau monde, a du même coup effacé leur origine, leur histoire et leur nom.
Aujourd’hui, un quart des 42 millions de Noirs Américains ont des ancêtres qui ont connu la déportation depuis le Sénégal et la Gambie. Pour beaucoup d’entre eux, retrouver leurs origines est nécessaire au sentiment identitaire, et c’est pourquoi ils sont si nombreux à partir pour de véritables pèlerinages vers Gorée au large du Sénégal, l’île symbolique de la traite négrière à la notoriété internationale.
C’est aussi de plus en plus pour se soumettre aux tests génétiques qui font fureur depuis le feuilleton « Roots » au succès retentissant dans les années 1970. La génétique ouvre maintenant des portes inespérées et promet de redonner ce qui semblait perdu à jamais : des racines. Le processus s’est même transformé en véritable phénomène social, pour le ravissement de beaucoup et la réticence de beaucoup d’autres.
Car ces firmes, qui offrent de vous révéler quel pourcentage de sang européen coule dans vos veines, de quelle ethnie vous êtes issus et où remontent vos lignées paternelles et maternelles jusqu’à il y a cinq siècles, éveillent une vive polémique.
D’un côté, ces analyses « permettent aux Africains américains de renverser symboliquement » les traces laissées par l’esclavage en « renouant avec leur patrimoine africain », affirme Henry Louis Gates Jr., professeur à Harvard. Et ces tests apparaissent en effet comme la seule réponse trouvée jusqu’à présent au problème de l’effacement des origines.
Cependant, des objections s’élèvent, à commencer par celle de l’historien Ibrahima Thioub, qui avoue être mal à l’aise avec cette pratique : « toutes les sociétés atlantiques – africaine, américaine ou européenne – sont des victoires du métissage. En enfermant les gens dans des catégories, on nie cette réalité ».
D’autant plus que la fiabilité de ces analyses génétiques est assez discutable. Ne faisant pas l’objet de contrôles suffisants, ils se fondent sur les bases de données génétiques recueillies en Afrique, qui constituent des échantillons trop restreints pour établir des filiations si complexes.
Au-delà même de ces considérations scientifiques intervient l’épineux problème du sentiment identitaire, cœur véritable de la démarche. Savoir qu’un arrière-arrière-arrière-grand-père venait du Ghana, cela nous rend-il ghanéen ? Beaucoup d’Afro-Américains se heurtent à un mur imprévu, une fois leur réponse obtenue : ils se rendent compte alors que l’Amérique, avec son brassage culturel et son histoire de l’esclavage, est en fait leur vraie maison.
En attendant, les compagnies d’analyses génétiques continuent de prospérer, faisant pousser les arbres généalogiques à tout va.