‘Sahel sounds’, le label américain qui veut valoriser les musiques du Sahel via Whatsapp

Afriquinfos Editeur
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Bamako (© 2020 Afriquinfos)- Pour se faire connaître dans le monde, les musiciens du Sahel ont désormais juste besoin d’un smartphone et d’un message WhatsApp. Cette nouvelle donne a la même efficacité que les bonnes vieilles cassettes enregistrées dans une cave, recopiées mille fois et partagées entre fans autrefois.

Au Mali, Ali Traoré, un jeune homme de 26 ans guitariste acoustique, a à ses côtés, Hamadoun Guindo qui rappe en rythme sur une calebasse. Ali, dont le nom d’artiste est «Bounaly», chante sa nostalgie, les dunes de Niafounké, sa ville natale (celle aussi de l’immense chanteur et guitariste, feu Ali Farka Touré), qu’il a quittée en 2010 pour étudier à Bamako, au Mali.

Quelques minutes plus tard, il appuie sur la touche «stop» de son smartphone et envoie le morceau par WhatsApp à Christopher Kirkley, le fondateur du label «Sahel Sounds» qui vit dans l’Oregon, sur la côte ouest des Etats-Unis.

«Sahel Sounds» publie normalement des vinyles enregistrés au Mali, en Mauritanie, au Niger ou au Sénégal. Mais en janvier 2020, son patron a décidé de demander à des musiciens de ces pays de lui envoyer leurs enregistrements par WhatsApp ! Il les publie ensuite, à peine retouchés, sur la plateforme de vente de musique en ligne «Bandcamp», connue pour accueillir des artistes indépendants.

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Prix du téléchargement libre pour l’internaute

Chaque mois, de nouveaux morceaux sont publiés sous le titre «Music from Saharan WhatsApp». Pour l’internaute, le prix du téléchargement est libre. Quant à l’artiste, il reçoit 100% des revenus pendant le mois où ses œuvres sont en ligne. Ali Traoré raconte comment Christopher Kirkley lui a un jour demandé d’«enregistrer quelques sons dans le téléphone», puis de les transférer par WhatsApp : «J’ai dit OK, pas de souci». A peine deux semaines se sont ensuite écoulées entre l’enregistrement des morceaux et leur mise en ligne, début novembre.

«Un label du Mali ne peut pas t’emmener aux Etats-Unis ou dans des tournées internationales», souligne le musicien, qui espère que cette musique par WhatsApp lui apportera la notoriété. «C’est essentiellement une expérience pour voir comment abattre les barrières à l’entrée sur le marché pour ces artistes d’Afrique de l’Ouest», confie à l’AFP Christopher Kirkley.

Parmi ceux qui ont participé au projet, certains ont été «choqués», dit-il, par les montants qu’ils ont récoltés en si peu de temps pour quelques morceaux enregistrés sur leur téléphone.

«C’était vraiment génial», se réjouit Amariam Hamadalher, membre du groupe de blues touareg ‘Les Filles de Illighadad’ du Niger. Les cinq morceaux enregistrés à la maison, avec des amis, leur ont rapporté 3.000 euros, dit-elle, soit 20 ou 30 fois le salaire moyen dans la région. «Ça nous a beaucoup aidées en cette période de coronavirus un peu difficile».

«Des morceaux qu’on ne trouve nulle part ailleurs»

‘Sahel Sounds’ a vu le jour en 2009. Il a été fondé par Christopher Kirkley, d’abord sous la forme d’un blog. Puis après des années, notamment au Sahel, enregistrant les musiciens locaux, il s’est rendu compte de l’importance des téléphones portables dans le monde musical de la sous-région. A l’époque, on n’en était plus aux cassettes dupliquées, mais Internet n’était pas encore très répandu et il fallait utiliser le bluetooth pour s’échanger des fichiers entre des téléphones distants de quelques mètres.

«C’était vraiment intéressant de voir ce que les gens avaient dans leur téléphone. Dans chaque ville, c’était différent. Et il y avait beaucoup de morceaux qu’on ne trouvait nulle part ailleurs, pas à la radio et certainement pas sur YouTube», se rappelle celui que le magazine Les ‘Inrockuptibles’ a surnommé «le baroudeur devenu producteur».

Dix ans plus tard, les smartphones sont partout, même au Sahel, mais Christopher Kirkley entend «jouer un peu avec la même idée» : découvrir et faire connaître la musique telle qu’elle est jouée et partagée au Sahel, sans le filtre d’un producteur de studio ou d’une maison de disques.

V. A.