Economie : Débat au FCFA/Kako Nubukpo et Déby ont fait leur part, l’UEMOA et la CEMAC hésitent…

Afriquinfos Editeur
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En décembre 1945, une convention est signée entre les Etats de l’Afrique de l’ouest et la France, ainsi que les pays d’Afrique centrale. Le Franc des Colonies Françaises Africaines CFA est ainsi née (plus tard, elle sera baptisée Franc de la  Communauté Financière Africaine). La zone franc regroupe aujourd’hui 16 pays africains dont 8 pays de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, et Togo); et 6 pays de la CEMAC (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad), ainsi que l’Union des Comores.

Après plusieurs années de cheminement, le franc CFA fait aujourd’hui objet de critiques, tant d’un point de vue économique que symbolique. Au-delà des relations intercommunautaires, la totalité des débats autour du franc CFA porte aujourd’hui  sur sa dimension économique. Deux règles centrales régissent cette monnaie. D’abord la stabilité du taux de change entre le CFA et le franc, puis l’euro. Ensuite, la garantie par la Banque de France de la convertibilité illimitée du franc CFA.

Ce mécanisme essuie aujourd’hui de nombreux critiques et de plus en plus des experts en économie  considèrent que le  CFA nuit à la compétitivité des exportations de ces pays africains. Pour Demba Moussa Dembelé (Economiste, chercheur et directeur du Forum africain des alternatives), «le franc CFA est un instrument de domination de l’ancienne puissance coloniale ».

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Sur un autre plan, les détracteurs du Franc CFA s’insurgent contre l’obligation faite aux Etats membres de la CEMAC et de l’UEMOA de déposer 50% de leurs avoirs extérieurs nets au Trésor public français pour préserver la garantie monétaire de la France. Selon un rapport de la zone franc, la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale) et la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest),  deux Banques centrales de la zone franc, disposaient en 2005 de plus de 3.600 milliards de francs CFA (environ 72 milliards d’euros) auprès du Trésor français.

Ces dernières années, des voix se sont alors élevées pour demander une réforme de ce mode de fonctionnement du FCFA. Certains économistes estiment qu’arrimer le Franc CFA à une monnaie forte comme l’Euro est défavorable aux économies de pays pauvres qui composent la CEMAC et l’UEMOA. D’autres cependant, proposent la création d’une monnaie unique africaine ! Mais, cette alternative ne fait pas l’unanimité.

Pour le Commissaire des politiques macroéconomiques et de la recherche de la Cédéao, le Dr Ibrahim Bocar, «ce n’est pas facile de créer une monnaie unique». «Il faut d’abord créer un socle économique solide, capable de faire converger les économies notamment les budgets, de faire en sorte que le commerce à l’intérieur de la région puisse se développer et que chacun puisse sentir que ce commerce lui apporte quelque chose», explique-t-il.

D’autres experts pensent par contre qu’aujourd’hui, plusieurs indicateurs sont rassurants. Depuis une décennie, la région a accru son taux de croissance qui se situe à 6.1% contre 5.6% en 2013. Ce qui veut dire, pour ces derniers, que le socle économique se consolide même si des défis existent notamment au niveau des finances publiques.

Différentes prises de positions

Lors du 55e anniversaire de l’indépendance de son pays, le président tchadien, Idris Deby Itno appelait les pays africains à créer leur propre monnaie, soutenant que «les clauses économiques entre la France et l’Afrique sont dépassées», et qu’il fallait les revoir dans l’intérêt de l’Afrique et de la France. «Ces clauses tirent l’économie de l’Afrique vers le bas, et ne lui permettront pas de se développer avec cette monnaie-là», avait-il soutenu. Cette déclaration n’est pas restée sans effet.

La semaine dernière, lors de la Conférence de presse qui a clôturé la réunion des ministres des Finances de la zone Franc à Paris, la question du franc CFA a refait surface. Occasion pour le ministre français des Finances et des Comptes publics de se prononcer sur la question. «La zone Franc, ce n’est pas une zone figée, c’est une zone qui est dynamique. Et s’il y a de la part des uns et des autres au niveau académique ou politique des propositions d’évolutions, nous en discuterons tous ensemble avec cet esprit de respect et d’égalité», a concédé Michel Sapin.

En attendant, récemment, une pétition a été lancée sur les réseaux sociaux suite à l’éviction du Professeur d’économie, Kako Nubukpo, Ministre de la Prospective et de l’Evaluation des Politiques Publiques du Togo du Gouvernement togolais. Selon la presse, ce dernier aurait fait objet de menaces pour avoir critiqué l’arrimage du FCFA à l’euro au cours de différentes rencontres publiques.

«Nous, citoyens, africains et d’ailleurs, estimons qu’il est impératif que le débat soit posé. Un débat serein, qui donnera l’occasion aux défenseurs et promoteurs du Franc CFA d’apporter des réponses à nos interrogations, d’éclairer l’opinion publique sur une pratique héritée d’une période postcoloniale révolue, et dont le bien fondé reste encore à démontrer. Nous voulons ainsi exprimer notre soutien total au Professeur Kako Nubukpo et à tous ceux, individus comme organisations, qui se battent pour  promouvoir le débat sur le Franc CFA. Appeler les médias, la société civile et tous les citoyens des pays des zones CFA à s’engager et à soutenir ce débat d’idées, crucial pour notre devenir commun. Entreprendre dans les meilleurs délais des actions concrètes pour promouvoir le débat sur le franc CFA», peut-on lire dans le texte. «La nouvelle Afrique dont nous rêvons arrivera avec notre contribution à tous ou restera à jamais un rêve», a conclu les termes de cette pétition qui a déjà recueilli à ce jour près de 8.000 signatures.

 Larissa AGBENOU