Mali/Assassinat de G. Dupont et Claude Verlon: Ce que pointent du doigt les proches des disparus comme blocages à l’enquête officielle

Afriquinfos
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Kidal (Afriquinfos 2016) – 02 Novembre 2013-02 Novembre 2016. Cela fait trois (03) ans que français Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal, dans le nord du Mali. Ils couvraient les élections législatives. Malgré la revendication de leurs assassinats par Aqmi (Al-Qaida au Mahreb islamique), l’enquête est au point mort. Un silence que dénoncent les proches des deux journalistes, et des confrères de RFI (Radio France Internationale).

Pour les familles et amis des victimes, il s’agit de connaître ce qui s’est réellement passé. Mais leur soif d’accéder à la vérité se heurte à un mur de silence. Les gouvernements français et maliens semblent imposer une «loi d’omerta» sur l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Les proches des victimes sont loin de faire le deuil et luttent à leur manière pour la manifestation de la vérité.

«Le président de la République m’a même serré dans ses bras, très gentiment, (…), en me disant «Mme, vous saurez tout minute par minute. Tout ça, ce sont des mensonges en fait. Ou alors on attend qu’on oublie… Mais on ne peut pas oublier. Tous les soirs, je pleure. C’est un trou énorme en moi. Elle est là, tout le temps. J’ai 86 ans et j’aimerais savoir, avant de partir, ce qui s’est passé. Je fais les cauchemars les plus terribles, mais ce sont des cauchemars éveillés. J’en arrive parfois à penser que c’est l’armée qui les a tués, c’est vous dire ! C’est parce que nous ne savons rien, on n’a avancé en rien. Ce qu’on nous disait au départ, on ne nous le dit plus, on nous dit autre chose… c’est terrible», se lamente Marie-Solange Poinsot, la mère de Ghislaine Dupont. Elle se rappelle de ce message de réconfort que lui a adressé Jean Yves le Drian, le ministre français de la Défense: «Vous savez, votre fille avait un métier difficile et elle le savait. Comme un militaire sait qu’il peut trouver la mort». Je lui ai répondu qu’un militaire a un fusil dans les mains. Ma fille, elle avait un micro. Elle aurait été tuée par une balle perdue, un éclat d’obus, ce serait plus logique. Là, elle a été assassinée, et c’est ça qui n’est pas normal».

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Apolline Verlon-Raizon, la fille de Claude Verlon, est aussi sceptique par rapport à l’enquête diligentée par son pays au lendemain de l’odieux assassinat. «Trois ans, ça m’éloigne encore plus de lui… et ça ne me rapproche pas plus de la vérité, donc il n’y a pas de réconfort à trouver. Ce qui fait du bien, c’est de se dire que des gens se sont mobilisés pour eux, pour leur mémoire, et pour le métier de journaliste qui est de transmettre. Mais l’enquête, clairement, ne va pas assez vite. Elle n’en est pas au point mort; du travail a été fait, mais ce n’est pas assez. Et cela aurait dû aller plus vite. François Hollande nous avait promis que cela irait vite, et ce n’est pas le cas. Si on avait eu certaines informations à des moments cruciaux où on était en attente de noms ou de localisations… L’armée avait clairement des informations et ne nous les communiquait pas».

La presse française veut coûte que coûte faire triompher la vérité

Pour Radio France Internationale (RFI), le média pour lequel les deux journalistes travaillaient, il n’est pas question de laisser tomber. «Nous sommes plus déterminés que jamais à aller jusqu’au bout, affirme Marie-Christine Saragosse. Nous sommes déterminés à connaître la vérité et à ce que justice soit rendue. C’est quelque chose qui anime toutes les équipes de RFI et en particulier la rédaction Afrique de RFI. Chercher la vérité est une obsession. Nourrir leur mémoire en est une autre», affirme Marie-Christine Saragosse, présidente de «France Médias Monde», groupe auquel appartient RFI.

Tous accusent la France et parlent «d’un silence d’Etat». «L’Etat sait qui les a tués mais ne veut pas le dire», fustige l’association des «Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon». Ils croient que les autorités françaises savent beaucoup de choses mais se taisent. Les faits  leur donnent raison. Par exemple, la confidence de François Hollande à deux journalistes du journal «Le Monde».

Le chef de l’Etat français avait laissé entendre que les ravisseurs de l’otage Serge Lazarevic (otage français libéré) étaient ceux qui ont tué les deux journalistes de RFI. A cela, s’ajoutent l’attentisme des forces armées françaises présentes à Kidal et la déclassification de certains documents qui lèvent le voile sur certaines zones de l’assassinat de Ghislaine et Claude.

«Ce que nous avons pu obtenir nous confirme dans l’idée que l’armée sait beaucoup de choses, et qu’elle savait beaucoup de choses avant la justice. On peut déplorer ce cloisonnement extrêmement épais entre les autorités judiciaires et l’armée. Il y a un sentiment de frustration et une forme de rage: si certaines choses avaient été connues plus tôt, on aurait pu investiguer dessus plus tôt. C’est dommage de se rendre compte que chacun travaille de son côté. Nous déplorons vraiment l’absence de communication entre l’autorité judiciaire et les militaires», s’indigne Caty Richard, avocate des parties civiles.

L’association des amis de Ghislaine et Claude demande que des responsables de la Minusma  ainsi que les personnes incriminées soient entendus. Mais ces derniers disparaissent les unes après les autres. Ce qui renforce le doute chez les proches des victimes sur le bon déroulement l’enquête. Car, même le juge d’instruction malien Mahamadou Kassogué n’a pas les coudées franches pour faire son travail. Une situation qui est compliquée par le climat de méfiance qui règne à Kidal, et surtout que le CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) après la signature de l’accord de paix, est dans les bonnes grâces des autorités françaises et maliennes.

Selon Mamadou Ismaël Konaté, le ministre de la Justice au Mali, un mandat d’arrêt a même été lancé contre le chef du commando, Baye Ag Bakabo, l’un des suspects du meurtre de deux journalistes. Mais selon les sources militaires françaises, il aurait été tué. «Je n’exclus pas qu’il y ait des pressions pernicieuses en souterrain», explique Ambeiry Ag Ghissa, cadre du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), l’une des organisations de la CMA. En rappel, c’est de chez lui que Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient sortis lorsqu’ils ont été enlevés, puis assassinés, à Kidal le 2 novembre 2013. Parviendra-t-on un jour à connaître la vérité ? C’est la grande question qui reste suspendue à la volonté des Etats français et malien.

Anani  GALLEY