En Côte d’Ivoire, un cordon sanitaire contre la contagion djihadiste

Afriquinfos Editeur
6 Min de Lecture
Des soldats ivoiriens devant l'Académie de lutte contre le terrorisme, à Jacqueville le 10 juin 2021.

Face à une menace terroriste qui déborde des pays limitrophes du Sahel, Mali et Burkina Faso en tête, la Côte d’Ivoire muscle son dispositif sécuritaire afin d’éviter que ses territoires frontaliers ne tombent dans l’escarcelle des groupes djihadistes. Sans oublier d’offrir aux populations des régions isolées du nord et de l’est des perspectives de développement permettant à la jeunesse ivoirienne de ne pas succomber aux sirènes des terroristes.

Ordre, sécurité et maintien des prérogatives de l’État. Alors qu’au Burkina voisin un putsch militaire vient de renverser le régime du président Roch Marc Christian Kaboré et qu’au Mali l’opération Barkhane a annoncé un 53e décès au sein des rangs du contingent français, les enjeux sécuritaires s’imposent, sans surprise, en tête des priorités d’Alassane Ouattara pour l’année à venir. Lors de ses traditionnels vœux à la nation, le président de la Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest lui aussi touché par les attaques djihadistes, a ainsi fait des thèmes de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme les grands axes de son intervention. Alassane Ouattara a notamment promis un renforcement de la présence militaire dans les régions frontalières du nord et de l’est du pays ainsi que celui des opérations menées conjointement avec les forces du G5 Sahel.

Le retour du régalien

Depuis plusieurs années, la Côte d’Ivoire multiplie les initiatives afin de limiter la contagion terroriste venue du désert sahélien et d’éviter l’implantation durable de bases djihadistes sur son territoire. Le nord et l’est du pays, éloignés des grandes métropoles ivoiriennes et frontaliers du Mali et du Burkina Faso, cristallisent l’attention des autorités, qui déplorent plusieurs attaques contre les forces de sécurité ivoiriennes, gendarmes ou militaires. « Aujourd’hui, le Burkina Faso et le Mali constituent l’épicentre de la menace terroriste qui descend vers la Côte d’Ivoire, appuie Lassina Diarra, expert ivoirien de l’antiterrorisme. Le gouvernement a donc tout intérêt à collaborer avec ces États » voisins. Plusieurs opérations conjointes ont, de fait, déjà été menées et couronnées de succès, conduisant à l’arrestation de centaines de suspects.

- Advertisement -

La mouvance djihadiste faisant peser une menace de long terme, la Côte d’Ivoire s’est également dotée d’une flambant neuve Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), un centre spécialisé dans la formation de militaires, policiers, gendarmes et magistrats. Située à Jacqueville, près d’Abidjan, l’Académie, qui a reçu le soutien de la France, a d’ores et déjà formé plus de 500 professionnels. Dans le nord du pays cette fois, ce sont les États-Unis qui ont investi près de 20 millions de dollars dans un programme baptisé Résilience pour la paix, qui vise les communautés des régions frontalières et, plus particulièrement, les jeunes qui pourraient être tentés de rejoindre les rangs des groupes criminels et terroristes.

Contre la menace djihadiste, l’alliance de «l’effort militaire et du développement»

La jeunesse, justement, est en tête des préoccupations de l’exécutif ivoirien, bien conscient que l’hydre djihadiste se nourrit du sentiment de déclassement et d’abandon d’une partie des jeunes des régions isolées de Côte d’Ivoire. « Nous savons tous que la cause profonde de la plupart des crises et de l’instabilité dans notre sous-continent est l’oisiveté », a ainsi déclaré le Premier ministre ivoirien, Patrick Achi, lors d’un déplacement organisé le samedi 22 janvier dans le nord du pays. Ce désœuvrement « pousse certains jeunes gagnés par le désespoir, attirés par le mirage des guerres faciles, à des actes de déstabilisation », a encore lancé le dirigeant, qui s’exprimait depuis la localité de Tougbo, proche du Burkina.

C’est bien dans cette région que flotte un latent sentiment d’insécurité. Près de la frontière burkinabè, les habitants, excédés par les violences, confient leur inquiétude auprès des reporters du Point : « on a toujours peur, mais on fait avec. On essaie de ne pas trop rester aux champs, de rentrer avant midi », dit l’un ; « je ne vais plus aux champs, j’ai peur. (…) On se méfie maintenant », confirme un autre ; « on est très méfiants quand un étranger arrive dans le village », reconnaît quant à lui le chef de la localité de Kafolo. « Les gens n’investissent plus, plus personne ne dort ici, même pas les fonctionnaires de passage », regrette un autre habitant, avant de lâcher, défaitiste, que « les djihadistes ont gagné cette bataille ».

Un pessimisme auquel refusent de céder les autorités. À Tougbo, Patrick Achi a en effet annoncé le lancement d’un vaste « plan social » en direction de près de 20 000 jeunes originaires de six régions de la Côte d’Ivoire, un programme qui financera des emplois dans le BTP, des formations en apprentissage ou encore le développement d’activités génératrices de revenus.

Doté de 8,6 milliards de francs CFA (13 millions d’euros), en partie pris en charge par l’Agence française de développement, ce nouveau plan entend donner corps à la vision bicéphale des autorités ivoiriennes en matière d’antiterrorisme, misant tant sur l’aspect répressif et sécuritaire que sur l’indispensable accompagnement économique des populations concernées. Une alliance, selon Patrick Achi, de « l’effort militaire et (du) développement » qui, seule, semble à même de tenir durablement éloignée la menace djihadiste.