Un homme d’affaires soudanais organise un voyage en Israël pour « briser la glace »

Afriquinfos Editeur
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Dans sa maison de Khartoum dont le fronton est une réplique de celui de la Maison Blanche, Abou al-Qassem Bortoum peaufine son projet inédit: se rendre avec 40 autres Soudanais en Israël avec l’objectif de « briser la glace ».

Pour ce voyage un peu provocateur au moment où les dirigeants de son pays sont divisés sur la question de la normalisation avec l’Etat hébreu, cet homme d’affaires a sélectionné des compatriotes de tous les milieux, de toutes les régions et de toutes les ethnies.

« Il y a des professeurs d’université, des ouvriers, des agriculteurs, des chanteurs, des sportifs et même des soufis« , confie M. Bortoum, 54 ans, à la tête de compagnies agricoles et de transport.

Il affirme débourser 160.000 dollars pour ce voyage de cinq jours prévu en novembre à une date non précisée et préparé avec « des Israéliens de la société civile« . Il assure n’avoir jamais été en Israël et n’avoir aucun contact avec les autorités de ce pays.

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Le Soudan n’entretient pas de relations avec Israël comme la plupart des pays arabes. Mais M. Bortoum explique que rien ne l’empêche d’aller en Israël car la mention d’interdiction de s’y rendre a été supprimée du passeport soudanais il y a 15 ans.

« Il y a un un blocage psychologique de la part de gens ordinaires à cause des intellectuels imprégnés par l’idéologie islamiste, de gauche ou nationaliste arabe. L’objectif est de briser la glace« , explique cet homme rondouillard, père de dix enfants.

« Réduits à mendier »

Selon un sondage publié la semaine dernière et réalisé par l’Arab Center for Research and Policy auprès de 28.800 citoyens de 13 pays arabes, au Soudan, seulement 13% des personnes interrogées ont dit « oui » à des relations avec Israël contre 79% qui y sont hostiles.

M. Bortoum balaie d’un revers de la main la question de l’occupation des territoires palestiniens par Israël. « Je me préoccupe des intérêts de mon pays et je constate que notre hostilité envers l’Etat hébreu nous a fait du tort. Notre pays est riche en ressources naturelles et pourtant nous sommes réduits à mendier« .

Le Soudan, qui avait hébergé le chef du réseau Al-Qaïda, est sur la liste noire américaine des pays soutenant le terrorisme depuis 1993. Conséquences des sanctions: isolement, absence d’investissements et marasme économique.

Pour M. Bortoum, son pays est aussi resté à l’écart des avancées technologiques. « Une entente avec Israël nous ouvrira les portes de l’investissement technologique occidental. Israël est un petit pays mais ses citoyens ont un impact sur l’économie en Europe et aux Etats-Unis. »

Si les militaires soudanais sont favorables à la normalisation, les civils sont prudents, alors que deux nouveaux pays arabes, les Emirats arabes unis et Bahreïn, viennent de normaliser leurs relations avec Israël.

Le général Abdel Fattah al-Burhane, chef du Conseil souverain soudanais, a rencontré en février en Ouganda le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Le vice-président de cette instance, Mohamed Hamdan Daglo, un autre militaire, a déclaré sans ambages en octobre: « Israël est un pays développé (…) Pour notre développement, nous avons besoin d’Israël« .

En revanche, le Premier ministre Abdallah Hamdok a demandé aux Etats-Unis de dissocier le retrait du Soudan de la liste noire de la normalisation avec Israël, et avancé que cette question requérait « une discussion approfondie au sein de notre société« .

« Aucune vision »

Cet attentisme exaspère M. Bortoum. « Le gouvernement Hamdok n’a aucune vision ni sur le problème de l’économie ni sur les relations internationales« , lâche-t-il, faisant allusion à l’incapacité de l’exécutif à juguler une inflation qui atteint les 212%.

L’opposition à la normalisation vient aussi de la plus haute autorité religieuse au Soudan. « Par 40 voix sur 50 nous avons émis une fatwa stipulant que les relations avec Israël sont interdites car ce pays occupe la terre des Palestiniens et je pense que le gouvernement va suivre cette recommandation« , assure à l’AFP Adel Hassan Hamza, secrétaire général de l’Académie du Fiqh (jurisprudence islamique).

« La question d’Israël est politique et non religieuse. Je sais que mon voyage va susciter des réactions négatives. Mais cela ne m’effraie pas« , lance M. Bortoum.

En 2015, après avoir été élu député au Parlement aujourd’hui suspendu, il avait suscité un tollé parmi les islamistes au pouvoir, en prônant l’abolition de la charia et des relations avec Israël.