APE : pressions de l’UE sur le Cameroun pour ratifier l’APE intérimaire de 2009 avant 2014

Afriquinfos Editeur
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"Pour ne pas être pénalisé par la nouvelle règlementation du marché, le Cameroun devrait ratifier autour de mi-2012. Si le cacao, les produits dérivés du cacao, l'aluminium, les bananes du Cameroun ne veulent pas être pénalisés à partir du 1er janvier 2014, il faut ratifier, malheureusement, autour de mi-2012", a souligné samedi à Yaoundé Nicolas Berlanga, chargé d'affaires par intérim de la délégation de l'UE au Cameroun.

"Ce n'est pas une sanction de la part de l'Union européenne pour vous mettre une pression. Nous sommes dans une situation juridique intenable, le fait d'un accord qui a été signé depuis 2008 et quatre ans après n'a pas été ratifié nous met dans une situation très difficile vis-à-vis d'autres partenaires au sein de l'Organisation mondiale du commerce", a-t-il ajouté lors d'un séminaire de sensibilisation à l'APE en marge du Salon international de l'entreprise de Yaoundé (Promote 2011).

Avec la participation de parlementaires, de représentants de l'administration, du secteur privé et de la société civile camerounais, et de responsables de la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) et de la Communauté économique et monétaire de l'frique centrale (CEMAC), ce séminaire a donné lieu à des échanges houleux entre l'UE et ses partenaires africains.

Chef d'unité APE à la direction générale pour le commerce de la Commission européenne à Bruxelles en Belgique, Sandra Gallina a mis du bémol aux propos de son collègue Nicolas Berlanga Martinez de Yaoundé pour préciser que ce n'est en mi-2012 au plus tard que le Cameroun est soumis à l'exigence de la ratification de son APE intérimaire préalablement paraphé en 2007, mais avant le 1er janvier 2014, afin d'assurer le maintien de ses préférences sur le marché européen.

Cet APE dit par ailleurs d'étape porte sur des filières stratégiques pour lesquelles le Cameroun a voulu préserver son accès préférentiel sur ce marché européen. Il s'agit des filières bananes, aluminium, cacao transformé, fruits frais et contreplaqués qui représentent une valeur commerciale de 300 millions d'euros par an, soit 15% des exportations vers l'UE, selon les estimations publiées par cette organisation.

"Le Cameroun a simplement voulu se préserver des préférences sans lesquelles il serait pour lui difficile de concurrencer d'autres pays qui produisent peut-être les mêmes produits. Je pense surtout à la Côte d'Ivoire et au Ghana. L'action de l'Union européenne vise à rendre stable le cadre juridique. Disons qu'on demande la ratification avant le 1er janvier 2014", a justifié Gallina qui, cependant, a irrité ses interlocuteurs camerounais a qualifiant la fameux APE de régional.

Parmi les réactions de contestation, la mise au point du secrétaire exécutif du Groupement inter patronal du Cameroun (GICAM), Martin Abega, s'est montrée sans appel. "Nous devons apporter des éclairages, parce que c'est nous qui travaillons sur le plan technique (…) Le fait d'affirmer que l'accord qui a été signé par le Cameroun a valeur d' un accord régional, risque de poser plus de problèmes", a-t-il répliqué.

"Pourquoi allons-nous continuer à négocier si l'accord que le Cameroun a signé il y a quelques années est un accord qui est un accord régional ? Arrêtons les négociations. Pourquoi continuer à négocier si on ne tient pas compte de la diversité de notre région ? ", a poursuivi le représentant du patronat camerounais.

"Il faut lever cet équivoque, l'accord signé par le Cameroun n'est pas un accord régional. C'est un accord que le Cameroun a signé en toute souveraineté, mais c'est un accord bilatéral entre le Cameroun et l'Union européenne. Il ne prend pas en compte les réalités des autres pays", a renchéri le directeur du marché commun à la CEEAC, Carlos Bonfim, venu de Libreville, siège de cette organisation régionale au Gabon.

Le fameux APE intérimaire est prévu de devenir caduc en cas d'accord de partenariat économique régional complet entre l'UE et l'ensemble des pays d'Afrique centrale représentés par leurs deux communautés économiques, CEMAC et CEEAC. Un marché d'environ 150 millions sur lequel, sans le dire expressément, l'UE veut opérer une exclusivité commerciale, puisqu'elle exige l'introduction d'une clause sur la nation la plus favorisée (NPF), un des points de désaccord.

Depuis la signature en 2009 après le paraphe deux ans auparavant par le Cameroun, "ça a été pratiquement le statu quo, c'est-à-dire que nos produits que nous exportions vers l'Union européenne ont continué d'être exportés sans subir de taxes à l'entrée du marché européen, ni de quotas", a indiqué Chantal Elombat Mbedey, directeur de l'intégration régionale au ministère camerounais de l'Economie, de la Planification et de l'Aménagement du territoire.

Selon celle-ci, "c'est pour cela que les opérateurs économiques n'ont pas senti de changement après 2007 jusqu'à maintenant. Les autorités camerounaises ont voulu préserver les exportations camerounaises vers le marché européen, sans payer de droits de douane, en attendant la finalisation des négociations régionales".

Faute d'une ratification de l'accord par le Parlement camerounais, l'UE réclame une application provisoire, autre possibilité pour éviter au Cameroun d'être basculé dès le 1er janvier 2014 au système de préférences généralisées, reconnu par les responsables camerounais eux-mêmes comme étant " mois favorable" à l'économie nationale, car synonyme de suppression des privilèges douaniers accordés à ses exportations sur le marché européen.

Pour autant, le gouvernement camerounais rejette les pressions et refuse de se sentir comme étant dos au mur. " Au Cameroun, l'arsenal juridique ne nous permet pas d'appliquer provisoirement un accord incomplet. Ce n'est pas possible (…) Notre Constitution ne reconnaît pas les conventions incomplètes. Nous avons pris notre accord d' étape, on l'a mis de côté", a expliqué Elombat Mbedey, par ailleurs coordonnatrice du Comité national de coordination et de suivi des négociations APE.

"Nous avons fait comprendre à nos partenaires européens qu'il serait difficile de continuer avec un accord d'étape qu'on devrait mettre en œuvre et en même temps on négocie un accord régional. Mais, aujourd’hui on nous dit qu'il y a cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. C'est difficile pour nous de mettre à mal l'intégration".

"C'est vrai que dans les pays il y a des institutions et peut-être l'application provisoire n'est pas un instrument du Cameroun. Donc, vous devez avoir la ratification. Mais, nous on serait contents d'avoir une déclaration qui dit : nous, on applique provisoirement. Sans faire de confusion, on voudrait savoir si cet accord intérimaire est encore valable. On n'est pas seuls dans le monde, les autres regardent ce qu'on est en train de faire. Ce n'est pas comme une menace, mais simplement un constat", a martelé la négociatrice en chef européenne Sandra Gallina.