Cet article est repris de l'édition d'avril 2000 de l'hebdomadaire sénégalais Le Témoin. Il est a lire en continuation de celui-ci.
L’affaire des 30 kilos de cocaïne d’une valeur de 3 milliards saisis par l’Ocrtis. Le Directeur général de la Sûreté nationale donne l’ordre de brûler la « drogue » dans la cuisine même de l’Ecole de Police !
Vous vous souvenez sans doute de l’affaire des 30 kilogrammes de cocaïne de première qualité qui avaient été saisis à l’aéroport de Dakar Yoff. Cette affaire avait été en son temps très médiatisée si bien que les agents de l’Ocrtis avaient reçu les félicitations de l’ancien président Abdou Diouf. Ces trente kilogrammes de cocaïne dissimulés dans 90 plaquettes, se présentaient sous forme de briques couvertes de carbone pour échapper à la détection au rayon X et étaient placées depuis l’usine de fabrication dans le double-fond de 30 cartons contenant des biberons. La drogue dure d’une valeur de trois milliards cfa provenait du Venezuela et faisait l’objet d’une surveillance discrète depuis son embarquement dans ce pays latino-américain.
Mais comment les flics anti-drogue de l’Ocrtis ont-ils réussi à intercepter cette marchandise ?
La coke, nous l’avons dit, venait du Venezuela et a transité par la Belgique. La surveillance a pu se faire sur la base de renseignements fournis depuis le Royaume-Uni par un officier de liaison britannique basé au Maroc. La marchandise, convoyée jusqu’à Dakar par la société Dhl et mise dans des caisses pesant au total 390 kg, était destinée à un commerçant du marché Sandaga du nom de Moustapha Sall. Vérification faite par les enquêteurs au marché, il s’est trouvé que cet individu n’a ni cantine, ni échoppe mais que c’est une autre personne du nom de Babacar Diouf qui est propriétaire du numéro de la cantine et de la ligne téléphonique qui figurent sur l’adresse du destinataire. Moustapha Sall, le destinataire de ce colis de drogue, constatant que la marchandise tardait à venir, a pris la poudre d’escampette sans demander son reste. Depuis lors, d’ailleurs, il est activement recherché par les limiers de l’Ocrtis. Mais son frère Ousmane Sall et ses associés Babacar Diouf (propriétaire de la cantine dont le numéro se trouvait sur le colis), Pape Mbaye Sarr, Idrissa Dièye et Serigne Diouf ont été interpellés et déférés au parquet. Depuis lors, cette affaire est en instruction et se trouve entre les mains du doyen des juges Demba Kandji.
À travers cette prise, les agents de l’Ocrtis ont réussi le coup du siècle au Sénégal en matière de drogue. Ils ont, pour ce fait, reçu des lettres de félicitations de l’ancien président de la République, d’ambassadeurs accrédités à Dakar et de tous leurs collègues des autres corps de l’armée comme la Douane et la Gendarmerie. Mais là où réside le problème, c’est qu’en son temps, le directeur général de la Sûreté nationale, M. Abdou Karim Camara, n’avait pas voulu recevoir le chef de l’Ocrtis, le commissaire Moustapha Wade, et n’avait même pas daigné lui envoyer une lettre de félicitations. Pourquoi ? Une question à laquelle les agents de la brigade anti-stups n’arrivent jusqu’ici pas à trouver une réponse cohérente. Plus grave encore, depuis le départ du commissaire Moustapha Wade en mission en Sierra Léone pour le compte des Nations Unies, les 30 kg de cocaïne avaient disparu. Et c’est seulement le vendredi 31 mars dernier que le directeur général de la Sûreté nationale a insisté et a donné l’ordre pour l’incinération de la drogue avant le début des formalités de passation de service entre l’ancien et le nouveau ministres de l’Intérieur, les généraux Lamine Cissé et Mamadou Niang. Et ce sans l’autorisation du juge qui supervise l’enquête. Et pour obéir aux ordres de son supérieur, l’actuel chef de l’Ocrtis, le commissaire Abdoulaye Niang a procédé à l’incinération ce jour-là dans la cuisine même de l’Ecole nationale de Police dont le directeur n’a été averti que 10 minutes avant l’opération qui s’est déroulée en présence de deux fonctionnaires dont nous préférons taire les noms. Au niveau de l’Ocrtis, on dénonce bien évidemment ce procédé cavalier, à la limite de la légalité. Comme nous l’a confié un policier de ce service qui a requis l’anonymat, « ce que le directeur général de la Sûreté nationale a fait est grave. D’habitude l’incinération de la drogue se fait publiquement, près de la mer, et se passe au mois de juillet devant les journalistes et des magistrats. Comment donc peut-on incinérer cette drogue constituant un corps de délit d’une affaire qui est en instruction auprès du doyen des juges ? Je me demande pourquoi cette précipitation du directeur Abdou Karim Camara ? D’ailleurs, certains de nos collègues qui ont vu la drogue qu’on devait incinérer attestent que ce qui a été brûlé ne dépassait même pas 15 kilos. Et encore, on peut se demander si ce qu’on a incinéré, ce n’était pas de la bicarbonate ou de la farine, en lieu et place de la cocaïne ».
Une chose est sûre : on susurre, dans les milieux de la drogue, qu’une bonne partie de la drogue provenant de cette saisie « vénézuélienne », circulerait actuellement en ville et se vendrait à prix d’or.
Plus grave, estiment les experts, des tests auraient dû être effectués et la drogue pesée avant l’incinération. Le juge Demba Kandji est-il au courant de cette incinération ? Alors que l’affaire est en instruction et n’a pas été jugée, doit-on détruire le corps du délit ? Ce qui a été détruit le 31 mars dernier, est-ce la vraie drogue provenant de la saisie ? Autant de questions qui méritent des réponses concrètes.
Une chose est sûre : la loi n° 18/97 du 11 novembre 1997 portant code des drogues, est très claire en son article 148 sur la remise ou destruction des substances saisies : « sauf dans les cas où la conservation des plantes et des substances saisies est absolument indispensable à la procédure, l’autorité compétente ordonne dans un bref délai après la saisie et le prélèvement d’échantillon (…) la destruction complète qui doit être effectuée immédiatement suivant les moyens appropriés par le comité interministériel de lutte contre la drogue. Les remises et destructions sont constatées par un procès-verbal qui indique avec précision les scellés qui sont remis ou détruits, les étiquettes des scellés ou les mentions portées sur leurs emballages sont annexées au Pv qui est signé du Président du comité interministériel de lutte contre la drogue et toutes les personnes qui ont participé à la remise ou à la destruction ». A notre avis, tout cela n’a pas été fait par le directeur général de la Sûreté nationale, Abdou Karim Camara. Rappelons que ce dernier, après avoir été préfet de Dakar, gouverneur de la région de Diourbel, de Thiès, avait été nommé à ce poste de directeur général de la Sûreté nationale au lendemain des élections de 1996. Une affaire à suivre.
Par Malick BA
« Le Témoin » Hebdomadaire Sénégalais (Avril 2000)