The Conversation -Le président Donald Trump a signé un décret actant le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris. Cette décision soulève un certain nombre de questions sur ses conséquences pour les petits États insulaires africains de l’océan Indien. L’Accord de Paris est un traité international juridiquement contraignant sur le changement climatique. Il est entré en vigueur en novembre 2016 et vise à limiter l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels.
Le décret « Putting America First in International Environmental Agreements (Mettre l’Amérique d’abord dans les accords environnementaux internationaux) », qui annonce le retrait des États-Unis de cet accord, annule aussi les engagements financiers des États-Unis dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le changement climatique, comme le Fonds vert pour le climat et le Fonds pour les pertes et dommages.
Trump a également démantelé le Bureau américain chargé de la diplomatie climatique, responsable des négociations internationales sur le climat.
À l’Université de Pretoria, notre programme de recherche sur les régions océaniques s’intéresse aux conséquences de ce retrait pour les États insulaires africains comme les Comores, Madagascar, île Maurice et les Seychelles.
Nos travaux précédents sur les États insulaires du Pacifique ont montré que ceux qui étaient négligés par les grandes puissances diversifient leurs alliances. Par exemple, en 2021, les Îles Salomon se sont tournées vers la Chine pour obtenir une aide sécuritaire. Ce qui a alors poussé l’Australie à renforcer son soutien aux îles Salomon jusqu’à fin 2023. De même, en 2018 Fidji s’est rapprochée de la Chine, saluant son leadership climatique. Cette inflexion a incité les États-Unis à prendre davantage en compte les priorités des îles du Pacifique. Dès lors, les États insulaires africains pourraient adopter des stratégies similaires si l’engagement climatique des États-Unis devait rester fluctuant.
Bien qu’ils soient responsables de 0,2 % des émissions mondiales de carbone, les petits États insulaires subissent les conséquences les plus graves du changement climatique. L’île Maurice, par exemple, connaît une augmentation du niveau des mers de 2 à 3 fois supérieure à la moyenne mondiale. Aux Comores, le changement climatique pourrait déplacer 10 % des habitants des côtes et détruire des infrastructures valant plus de 2,2 fois leur PIB.
Retrait de Trump en 2017
Trump a d’abord tenté de se retirer de l’accord en 2017. Cela n’a duré que 77 jours, l’Accord de Paris interdisant tout retrait formel durant les trois années qui suivent son entrée en vigueur. Mais même si cette tentative a été de courte durée, elle a fragilisé l’accord international sur l’action climatique.
Dans l’ouest de l’océan Indien, les impacts ont varié selon la dépendance des États insulaires envers les États-Unis.
Les Seychelles, moins dépendantes de l’aide de Washington, ont maintenu leur engagement climatique en misant sur des initiatives liées à l’océan. Elles ont converti 21,6 millions de dollars de dette en un échange dette-nature, le premier au monde axé sur l’économie bleue. Les Seychelles ont aussi lancé la première “obligation bleue” (blue bond) souveraine, un outil financier destiné à effacer une partie de la dette en échange de la création d’aires marines protégées, couvrant 30 % de leur zone économique exclusive. L’obligation bleue a permis d’affecter les fonds collectés spécifiquement à des projets durables liés à l’océan.
Ces initiatives ont été soutenues par le Seychelles Conservation and Climate Adaptation Trust, un organisme mis en place en 2015 à la suite de cet échange de dette. Des partenaires comme The Nature Conservancy (ONG) ou la Banque mondiale ont également apporté leur contribution. Grâce à cela, le pays a limité les effets du retrait des financements américains, notamment ceux du Fonds vert pour le climat.
Pour les Comores, les conséquences auraient été bien plus graves. Le Fonds vert pour le climat y finance un projet de 41,9 millions de dollars, lancé en 2019 et qui doit durer jusqu’en 2027. Ce financement vise à garantir un accès à l’eau face au changement climatique.
Deuxième retrait de Trump
Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris pourrait prendre effet dès janvier 2026, selon [l’article 28]. Or, les États-Unis assurent 21 % du budget du secrétariat climat de l’ONU. Leur départ pourrait coûter au moins 11 milliards de dollars aux pays les plus pauvres.
Une des conséquences majeures pour les États insulaires africains serait la perte du soutien du Fonds vert pour le climat. En 2023, l’administration Biden s’était engagée à verser 3 milliards de dollars à ce fonds, égalant ainsi la promesse de 2014 de l’administration Obama et faisant des États-Unis le plus grand contributeur du Fonds.
Trump, lui, a annulé toutes les promesses américaines de financement.
Le Fonds soutient actuellement quatre projets aux Seychelles (34,3 millions de dollars), quatre aux Comores (66,7 millions de dollars) et six à Maurice (86,1 millions de dollars).
En mars 2025, les États-Unis se sont également retirés du Fonds pour les pertes et dommages, ce qui pourrait compromettre la promesse de Biden de verser 17,5 millions de dollars.
Créé en 2022 pour aider les pays en développement à faire face aux pertes et dommages liés aux effets du changement climatique, le Fonds a été résolument défendu par les petits États insulaires en développement, notamment Maurice et Seychelles.
Au-delà des coupes budgétaires, le retrait américain risque de freiner l’élan mondial pour le climat. Certains estiment ainsi que l’élection de Trump a renforcé la position de l’Arabie saoudite en faveur des énergies fossiles lors de la COP29 et affaibli les engagements climatiques mondiaux.
L’approche de Trump, perçue comme hostile aux enjeux climatiques, pourrait créer un vide de leadership. Lequel pourrait pousser les États insulaires africains à chercher d’autres partenaires.
Leçons des petits États insulaires du Pacifique
Dans le Pacifique, ce nouveau retrait opéré par Trump suscite une vive inquiétude. Les Îles Cook insistent sur leur dépendance à l’égard du Fonds vert pour le climat et la nécessité de rechercher d’autres sources de financement au niveau mondial. Le président de Palaos, Surangel Whipps Jr, a déclaré que ce serait « une occasion fantastique d’emmener Donald Trump à faire de la plongée pour qu’il voie les impacts » du changement climatique.
En raison du manque de soutien de l’Australie, Fidji et les Îles Salomon ont par exemple renforcé leurs relations avec la Chine et d’autres acteurs. La région a ainsi fait preuve de réactivité stratégique, amenant les grandes puissances à revoir leur approche.
Réunis au sein du Forum des îles du Pacifique, ils ont qualifié le changement climatique de plus grande menace pesant sur leur sécurité et défini la région comme leContinent bleu du Pacifique et l’Océan de la paix.
Ce plaidoyer concerté a eu un impact sur la scène internationale. Comme la Déclaration du Partenariat États-Unis-Pacifique qui soutient les priorités des îles et s’aligne sur la Stratégie 2050 du Continent bleu. Reste à savoir si ce partenariat résistera au désengagement climatique des États-Unis sous une nouvelle présidence Trump.
Ce que les îles africaines peuvent faire
Les îles du Pacifique ont utilisé avec succès des partenariats alternatifs pour pousser l’Australie à se réengager selon leurs conditions.
Les États insulaires africains peuvent adopter une approche similaire, en utilisant la position de Trump sur le climat comme une opportunité de diversifier les alliances. Si l’objectif n’est pas nécessairement d’influencer les États-Unis pour qu’ils réévaluent leur position, cette diversification des relations internationales pourrait naturellement conduire à un tel résultat.
Les îles africaines de l’océan Indien devraient également continuer à tisser des liens plus étroits avec des partenaires tels que l’Union européenne (UE), comme elles le font déjà avec succès, et avec la Chine dans le cadre de ses programmes de coopération) climatique et énergétique avec le Sud.
En mars 2025, l’UE a annoncé un programme d’investissement de 5 milliards de dollars pour financer des projets d’énergie verte en Afrique du Sud, après le retrait des États-Unis du Partenariat pour une transition énergétique juste.
Les États insulaires devraient ainsi continuer à plaider en faveur d’une action contre le changement climatique par le biais d’organisations régionales, telles que :
- la Commission de l’océan Indien
- la Commission des États insulaires africains pour le climat
- la Indian Ocean Rim Association.
Des initiatives telles que la Grande Muraille bleue, lancée par un ancien président des Seychelles, devraient continuer à recevoir le soutien d’organisations continentales telles que l’Union africaine et la Banque africaine de développement.
Bien que la crise climatique soit principalement causée par les pays les plus industrialisés, le désengagement actuel des États-Unis oblige ainsi les petits États insulaires à diversifier leurs soutiens pour assurer leur survie.
The Conversation