À Madagascar, l’agriculture familiale au défi de la transition agroécologique

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Agriculture Familiale Madagascar (DR-Mediaterre)

(© 2024 The Conversation)-À Madagascar, les initiatives agroécologiques se sont multipliées depuis quelques années. Une étude menée par le Cirad auprès des exploitations agricoles familiales met en évidence les freins politiques et pratiques à leur succès et au développement d’une réelle transformation des systèmes agricoles et alimentaires à l’échelle de l’île.

L’agroécologie a pris de l’importance dans les débats scientifiques, agricoles et politiques ces dernières années et est bien souvent présentée comme une solution pour accroître durablement la productivité agricole tout en préservant les ressources. Les incertitudes liées à la transition qu’elle implique demeurent néanmoins fortes, alors que les acteurs impliqués sont de plus en plus nombreux et diversifiés.

À Madagascar, l’engouement pour l’agroécologie se matérialise par des initiatives multiples (projets, programmes, mouvements sociaux) à différentes échelles et dans tous les territoires (Boeny, Grand Sud, Hautes Terres, Menabe…). Pour autant, son intégration dans les politiques publiques nationales et son ancrage effectif dans les territoires restent limités.Dans le cadre du « projet de protection et réhabilitation des sols pour améliorer la sécurité alimentaire » (ProSol) une équipe du Cirad a analysé les effets socio-économiques de l’adoption des innovations agroécologiques par les exploitations agricoles familiales (EAF), qui représentent la très grande majorité des exploitations agricoles à Madagascar.

Évaluer les effets de l’agroécologie à Madagascar

À cette occasion, des enquêtes ont été réalisées dans quatre communes de la région Boeny touchées par le projet, au nord-ouest de Madagascar, sur un échantillon de 400 ménages ruraux tirés au sort, dont 200 identifiés comme des bénéficiaires d’appuis.

L’objectif principal de l’étude est de produire des analyses afin d’améliorer les références sur les effets de l’agroécologie à Madagascar, et spécifiquement pour les ménages agricoles, et ainsi alimenter, avec des données de terrain, les débats de politique publique. L’étude tire également des enseignements méthodologiques pour un développement de l’agroécologie dans les territoires.

Les résultats révèlent la capacité et l’intérêt de ces exploitations familiales à utiliser des pratiques plus agroécologiques, mais aussi leurs difficultés à en tirer tous les bénéfices et le temps qui leur est nécessaire pour s’inscrire pleinement dans une transition agroécologique. L’étude met en outre en évidence la difficulté de cibler pour ces projets les EAF les plus vulnérables.

Or à Madagascar, où la pauvreté est quasiment généralisée dans le monde rural, l’enjeu de la transition est également d’aider à « sortir » de la pauvreté le plus grand nombre de ménages agricoles. Il s’agit donc de s’interroger sur l’accompagnement à apporter à ces exploitations.

Nos enquêtes ont par ailleurs souligné que toutes les pratiques agroécologiques ne sont pas vouées à être diffusées et adoptées partout de la même manière par toutes les EAF. Elles s’avèrent plus ou moins pertinentes en fonction des contextes de diffusion (biophysique, institutionnel, socio-économique) et des caractéristiques des exploitations agricoles censées les utiliser (disponibilité foncière, stock d’animaux, matériel agricole, main-d’œuvre familiale).

De nombreuses pratiques nécessitent une certaine dotation en facteurs de production au niveau des EAF, or beaucoup d’entre elles sont insuffisamment dotées (en foncier et en animaux, entre autres). La territorialisation de l’agroécologie (sa diffusion spatiale, son intégration dans l’organisation sociale des territoires et la construction des politiques publiques territoriales) doit ainsi passer par un renforcement des capacités productives des exploitations agricoles et une amélioration de l’environnement socio-économique.

Arrosage à la main des cultures de ciboulette dans la commune de Belobaka (région Boeny). Quentin Grislain/Cirad

Une grande partie des sommes allouées par les projets promouvant l’agroécologie est consacrée à la réalisation d’études, de formations et d’appuis aux ménages agricoles. Mais l’augmentation de leurs capacités productives ne passe pas uniquement par un renforcement des connaissances et des capacités techniques (avec l’utilisation de quelques intrants ou semences), mais bien par des investissements dans la terre, les aménagements fonciers (irrigation, terrasses…), des animaux, du matériel, des arbres à planter ou encore des bâtiments visant à améliorer la productivité du travail.

Diffuser les projets à plus grande échelle

À Madagascar, les multiples projets qui font la promotion de l’agroécologie, sont à la fois contraints dans le temps (en moyenne cinq ans) et dans l’espace (souvent moins d’une quinzaine de communes). Nos résultats montrent la difficulté de les diffuser au-delà de ces périodes et de ces espaces, ce qui limite leur impact.

En réalité, les pratiques agroécologiques les plus présentes et les plus « mises à l’échelle » sont aussi les plus anciennes (cultures associées avec des légumineuses, rotation des cultures, etc.). Ces innovations ont bénéficié d’un temps d’apprentissage et d’adaptation long, tant à l’échelle des exploitations, des communautés locales que des acteurs de chaînes de valeur. Au premier temps de leur adoption, observe-t-on, leurs performances technico-économiques ne sont pas nécessairement avérées.

Le développement de l’agroécologie à l’échelle du territoire reste encore limité et contraint par une combinaison de facteurs (accès aux intrants et semences, disponibilité de la biomasse, manque de main-d’œuvre, accès aux marchés des produits agricoles, etc.).

Mettre en œuvre la transition agroécologique à l’échelle du pays implique une structuration et une forte coordination des acteurs engagés dans ces pratiques. Cela suppose de conjuguer des innovations non seulement d’ordre agronomique, mais également social, politique, organisationnel et réglementaire.

Elle nécessite des messages politiques clairs des responsables de l’État comme des collectivités territoriales compétentes dans le cadre des lois de décentralisation (régions, communes, fokontany), ainsi que l’engagement des services techniques, nationaux, déconcentrés et décentralisés. Force est de constater que le relais de l’action publique par des sociétés civiles organisées est de surcroît un formidable accélérateur.

L’agroécologie est exigeante, et souffre souvent d’un engagement collectif timide, avec des messages parfois paradoxaux des services publics continuant à prôner l’intensification conventionnelle. Et parce que cette transition implique par essence de nombreux acteurs, elle invite à embarquer aussi bien les organisations paysannes que le secteur privé, les responsables d’ONG, les bailleurs de fonds ou encore les institutions de recherche.

La première renvoie principalement à des enjeux de gouvernance et à la nécessité de mieux coordonner les échelles d’intervention des projets et politiques de développement de l’agroécologie, du niveau régional jusqu’au fokontany. Le manque de coordination entre les acteurs de l’agroécologie et les échelles d’intervention peut aboutir à une multiplication de « territoires de projets » souvent non articulés et finalement à une action publique en mosaïque dans le secteur de l’agroécologie.

La seconde dimension renvoie à la sectorisation de l’action publique en faveur de l’agroécologie. En effet, il est régulièrement constaté que les projets et politiques d’accompagnement de la transition agroécologique sont fortement sectorisés entre les différents acteurs, entre l’agriculture et l’environnement, en passant par la nutrition et l’économie. Un décloisonnement est nécessaire, qui requiert sûrement l’inscription de l’agroécologie dans des stratégies de développement territorial, visant les exploitations agricoles comme l’ensemble des acteurs des systèmes agroalimentaires.

Nous mettons ainsi en lumière les besoins d’une action collective multi-niveaux et ancrée dans les territoires pour lever les verrous politiques et institutionnels à l’intégration de l’agroécologie dans les politiques publiques à Madagascar. Si des adaptations à la marge dans les systèmes vont en effet vers plus d’agroécologie, les politiques nationales et leurs déclinaisons locales ne changent pas de paradigme et restent encore largement inscrites dans les logiques de l’intensification conventionnelle.

The Conversation