Présidentielle 2023 en République Démocratique du Congo: Etat des lieux de l’Opposition

Afriquinfos Editeur
9 Min de Lecture
Le président Félix Tshisekedi, le 3 avril 2019 à Washington (AFP).

Kinshasa (© 2023 Afriquinfos)- Au lendemain de la conclusion de l’examen des recours par la Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo et de la validation des vingt-cinq candidatures à l’élection présidentielle, comment se présente l’Opposition au Président Tshisekedi, candidat à sa propre succession? Etat des lieux.

La nature du scrutin électoral à un tour devrait favoriser la constitution d’un front commun de l’Opposition afin de limiter les risques d’éparpillement et de compromission des résultats au soir de l’élection au profit d’un pouvoir qui maîtrise les organes de contrôle et de proclamation (Commission Electorale et Cour Constitutionnelle) et dispose des moyens de l’Etat, financiers comme coercitifs.

Néanmoins, une coalition semble difficile à envisager à ce stade, alors que la campagne électorale débute officiellement dans une quinzaine de jours. Le profil des candidats semble si disparate, leurs ambitions, allégeances et programmes si incompatibles que les observateurs peinent à imaginer que les intérêts particuliers finissent par «se rassembler autour d’une vision et non pas d’individus, car à chaque fois que dans l’histoire de la RDC le peuple a été rassemblé autour des individus, les intérêts du peuple ont été déçus», selon la formule évoquée par le candidat-opposant Delly Sesanga lors d’un entretien accordé au magazine «Jeune Afrique».

 Ceux qui espèrent apparaître

- Advertisement -

En premier lieu, certains candidats souhaitent profiter de cette élection pour se construire une image publique encore confidentielle pour l’instant. Seth Kikuni notamment, homme d’affaires, déjà candidat en 2018 et crédité de 0,13% des voix et dont le principal fait d’armes est d’avoir introduit un contentieux auprès de la Cour Constitutionnelle pour tenter de faire invalider la candidature de Felix Tshisekedi. Et Floribert Anzuluni, issu des mouvements citoyens, qui se frotte à l’exercice pour la première fois après avoir été choisi par une consultation populaire aux contours flous. Fils d’un ancien Président de l’Assemblée Nationale sous le Maréchal Mobutu, il souhaite probablement s’inspirer des traces de son père.

Ceux aux intérêts ambigus

Les parcours politiques en RDC ne peuvent se lire de façon linéaire. Les ralliements, la transhumance politique, les alliances familiales ainsi que les candidatures d’appoint sont légion dans les carrières. Il est parfois difficile de discerner le candidat indépendant de celui qui sert un intérêt électoraliste.

Franck Diongo par exemple, est passé en trois mois d’emprisonné pour cause publiquement annoncée de proximité avec Moïse Katumbi, à candidat à l’élection présidentielle, théoriquement concurrent donc de ce dernier. Marie-Josée Ifoku, seule femme candidate à l’élection présidentielle, déjà candidate en 2018 au cours de laquelle elle avait récolté 0,15% des suffrages,  dispose d’une expérience à la fois en tant que cheffe d’entreprise, mais également en tant qu’ancienne gouverneure de la Tshuapa.

Elle est cependant également la belle-sœur du ministre des Finances et soutien de Tshisekedi, Nicolas Kazadi. Adolphe Muzito également, qui veut faire la guerre au Rwanda, ériger un mur à la frontière, proposition d’ailleurs évoquée par Felix Tshisekedi lui-même lors du «Sommet des 3 Bassins de Brazzaville», fâché avec toute l’Opposition et complaisant avec le pouvoir.  Et enfin Martin Fayulu dont le cas divise l’opinion publique congolaise.

Lui qui n’avait pas de mots assez durs contre le pouvoir, qui pendant ces cinq dernières années s’est positionné en victime de la répression et Président légitime, est devenu subitement, après avoir d’abord annoncé puis renoncé à un boycott de l’élection, un facteur de division de l’Opposition contre laquelle il réserve la majorité de ses attaques.

Tentative d’affirmation ou poisson-pilote d’une stratégie de dispersion des voix au bénéfice du Président sortant? L’échec populaire de ses derniers meetings, notamment dans la province du Kongo-Central, risque dans tous les cas de le pousser dans la radicalité.

Ceux handicapés dans leur campagne

Matata Ponyo en particulier, ancien Premier Ministre du Président Kabila, voit depuis quelques mois son nom entaché par des poursuites judiciaires au motif de détournement de fonds publics sur des projets emblématiques de sa gouvernance qu’ont été «le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo (115 millions de dollars de détournés selon l’accusation)» et la «construction d’une Cité Moderne sur le site de la Foire Internationale de Kinshasa». Entre ses certificats médicaux et ses déplacements pour soins à l’étranger, sans compter les jours d’audience, difficile de battre campagne alors même qu’il ne dispose déjà pas réellement d’une désirabilité notable auprès de la population.

Le Docteur Denis Mukwege non plus ne semble pas disposer de tous les leviers d’une campagne réussie. Malgré sa caisse de résonnance internationale, l’annonce de sa candidature n’a pas fait bouger les lignes politiques congolaises. Il semble en effet avoir, dès le début, touché les limites de sa notoriété incontestable dans sa province d’opération du Sud-Kivu ainsi que dans certains cercles intellectuels de Kinshasa en peinant à mobiliser au-delà, faute de parti politique qui puisse lui servir de relais dans le pays. Et de programme clair. Inexpérimenté dans la gestion des affaires publiques, accusé de servir des intérêts étrangers, il a concentré les attaques du pouvoir avant que sa campagne ne tombe dans un relatif anonymat.

Ceux qui peuvent y croire

Député de l’Opposition expérimenté, Delly Sesanga s’offre une première campagne présidentielle ambitieuse qu’il a construite patiemment à travers une tournée nationale et la présentation d’un programme accueilli positivement. S’appuyant sur une vision globale des enjeux de la République Démocratique du Congo (paix et sécurité, infrastructures et développement, gouvernance et intérêt général, services publics et protection sociale, croissance et emploi), il bénéficie d’une exposition de plus en plus marquée dans les médias nationaux et internationaux. Comme en témoignent ses dernières interventions auprès de la chaîne «France24» et du magazine «Jeune Afrique».

Arc-bouté sur l’idée que seul le projet peut rassembler les Congolais et faire gagner l’Opposition, il se veut le dénominateur commun, surtout auprès de ceux qui nourrissent une certaine méfiance quant à la personnalité de l’autre ténor de l’Opposition, Moïse Katumbi.

En effet, c’est bien ce dernier qui au stade actuel de la course présidentielle semble le mieux placé pour incarner l’Opposition. Populaire depuis son passage comme gouverneur du Katanga et Président du club de football du Tout-Puissant Mazembe, disposant de plus de moyens financiers que ses concurrents de l’Opposition (non pas pour les mêmes raisons qu’il est devenu populaire selon les critiques), il a vu ce 30 octobre la Cour Constitutionnelle lever une première épée de Damoclès sur sa candidature. Néanmoins, la popularité et la logistique ne suffiront pas nécessairement.

Son absence de programme et d’aisance oratoire pourraient être un handicap dans une campagne qui ne se résumerait pas à un duel de personnes. De plus, sa visibilité en fera probablement la cible principale des attaques de tous bords. A ce titre, il est à craindre que l’inclusivité affichée par la Cour Constitutionnelle ne cache une manœuvre brutale ultérieure visant à l’écarter, suscitée par crainte qu’il puisse l’emporter.

Au vu de la fragmentation de l’Opposition, il faut donc espérer que pour le bénéfice et l’édification des Congolais appelés aux urnes en décembre 2023, les débats d’idées l’emportent sur les attaques personnelles. De là à envisager une primaire?

Afriquinfos