Les discours anti-français en Afrique francophone se sont répandus au-delà des élites urbaines éduquées et le phénomène pourrait « s’enraciner durablement », estime Alain Antil, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans un entretien avec l’AFP.

Les critiques de la politique de la France ont été accompagnées ces dernières années de manifestations violentes à l’encontre de sociétés françaises telles que Total ou contre des représentations diplomatiques au Tchad, au Mali et plus récemment au Burkina Faso. La profondeur du phénomène n’a « rien de comparable avec ce qu’on pouvait voir dans les décennies précédentes« , souligne Alain Antil, qui dirige le Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri et qui a publié ce 14 juin, avec son collègue Thierry Vircoulon, une étude consacrée aux « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone« .
On est désormais loin du temps « où les critiques, très articulées (…) étaient confinées à des cercles dirigeants d’intellectuels et qui, parfois, lors de crises politiques graves, pouvaient se répandre dans la rue« , dit-il. Il est frappant de constater que les détracteurs ne cherchent même plus à faire la démonstration de contre-vérités: « On n’a même plus besoin de prouver que la France soutient le djihadisme. On l’affirme« , observe-t-il.
Pour le chercheur, l’intensification du sentiment anti-français s’explique par « des trajectoires économiques et politiques décevantes » dans des pays où la population avait un temps fondé l’espoir de progrès économiques et en matière de démocratie.
– « Déni » –

Face à l’échec de leurs propres politiques, les dirigeants de ces pays ont recours à « des techniques de bouc émissaire« : « la France est responsable finalement du non-développement de ces pays et de la corruption de leurs élites« , explique Alain Antil. « C’est toujours un argument qui vient expliquer, et dédouaner finalement la responsabilité de ces élites« . Parallèlement, ces discours anti-français ont pu prospérer car les dirigeants français ont, eux, tardé à réagir.
Jusqu’à très récemment, les autorités françaises « étaient dans une espèce de déni« , y voyant simplement une corrélation à des crises, « à des poussées d’urticaire » ou une manipulation des Russes, explique le chercheur. L’étude montre certes « une articulation entre cette guerre propagandiste russe et certains segments des réseaux sociaux africains« .
Il est indéniable que les réseaux sociaux ont massivement fait circuler de fausses informations à l’instar de vidéos ou photos montrant des soldats français qui seraient « soit disant » en train de voler de l’or ou de « s’acoquiner avec des djihadistes« , souligne Alain Antil. Mais l’expert met en garde contre la tentation de tout expliquer par la propagande russe. « Évidemment, les Russes jouent leur partition, ont un impact, et financent des campagnes anti-françaises« , dit-il. Pour autant, penser qu’il suffit « d’expliquer aux Africains qu’ils sont manipulés par les Russes pour que ça se finisse » serait une erreur d’analyse, prévient-il.
Bien loin de refluer, ces discours vont s’enraciner « durablement dans les champs politiques et les opinions publiques de ces pays« , ajoute-t-il, citant trois facteurs nourrissant le sentiment anti-français: la présence militaire, la politique d’aide au développement ainsi que la monnaie.
Si le nombre de militaires français a drastiquement baissé passant de 30.000 hommes au début des années 60 à quelque 6.100 aujourd’hui, « l’interventionnisme n’a pas diminué« , note le chercheur.
– « D’égal à égal » –

S’agissant du Franc CFA , peu importe les réformes et la mise à distance de la France, le seul nom Franc CFA reste tout « un symbole » alors que l’ancienne colonie a, elle, adopté l’euro. Quoique présent, le discours anticolonial n’est « pas central » dans la propagation du sentiment anti-français, ont en revanche observé les chercheurs qui ont passé en revue réseaux sociaux et journaux.
« C’est plutôt la période post-coloniale » qui est en cause. Les chercheurs ne font pas de recommandations mais interrogé par l’AFP, Alain Antil note la nécessité de ménager les opinions de ces pays. « Il y a, côté français, souvent des maladresses dans la manière dont on s’adresse aux interlocuteurs« , explique-t-il. « La forme compte beaucoup » et « on ne le mesure pas assez« , dit-il, rappelant les critiques essuyées par le président Emmanuel Macron lors de son récent voyage officiel en Afrique.
« Les opinions publiques africaines sont extraordinairement sensibles — on peut les comprendre — au fait de les traiter d’égal à égal et non pas d’avoir quelqu’un qui donne des leçons ou qui ironise« , conclut-il.