Malgré une pluie fine, des dizaines de personnes se pressent devant le mémorial Thomas Sankara à Ouagadougou, qui pour faire des photos, qui pour acquérir des gadgets à l’effigie du « père de la révolution burkinabè », tué lors d’un coup d’Etat en 1987, qui se vendent comme des petits pains.
Depuis son inauguration en mars 2019, le mémorial est devenu le symbole de la réhabilitation de l’image du capitaine Thomas Sankara, sujet tabou pendant les 27 ans de règne de Blaise Compaoré, poussé à la démission par la rue, en octobre 2014. M. Compaoré avait été porté au pouvoir par un coup d’Etat en 1987 au cours duquel Thomas Sankara, dirigeant aux idées révolutionnaires et icône panafricaine, a été tué, à 37 ans, avec douze de ses compagnons par un commando lors d’une réunion au siège du Conseil national de la révolution (CNR) à Ouagadougou.
Le procès de ses assassins présumés s’ouvre ce 11 octobre devant le tribunal militaire de la capitale burkinabè, en l’absence de Blaise Compaoré, principal accusé qui vit en exil en Côte d’Ivoire. Une statue géante de Thomas Sankara, érigée sur le site du mémorial à l’endroit où il fut tué, fait l’objet de toutes les attractions, faisant de ce lieu le plus visité des sites touristiques au Burkina Faso, avec une moyenne de 8.000 visiteurs par mois, selon le Comité international mémorial Thomas Sankara (CIMTS).
« Sankara, c’est un label qui se vend très bien », sourit Prosper Simporé, militant pro-Sankara et vendeur de gadgets, devant une table achalandée d’objets à l’effigie du leader assassiné, qu’il dresse quotidiennement devant le mémorial, « symbole de la renaissance Sankariste ». Les gadgets à l’effigie de Sankara – porte-clefs, autocollants, cartes à jouer, colliers, boucles d’oreilles, bracelets, tee-shirts, casquettes, pin’s, sacs – s’arrachent comme des petits pains un peu partout, assure-t-il.
On trouve aussi une tasse sur laquelle est inscrite une phrase devenue culte du leader burkinabè: « Malheur à ceux qui baillonnent le peuple ». « Boire dans une tasse à l’effigie de Sankara, c’est comme se nourrir de ses idéaux au quotidien », affirme Justine Noëlle Zoungrana, fonctionnaire de 29 ans. L’offre de ces produits à forte valeur sentimentale, a explosé depuis l’insurrection de 2014. En témoigne la multitude des étals qui en proposent aux grands carrefours ou lors des grands rassemblements populaires.
– « Fierté retrouvée » –
Les moins de 35 ans composent la majorité des acheteurs de ces gadgets, selon M. Simporé. « Ils n’ont pas connu la révolution ou étaient encore très petits. Avoir ces objets leur fait revivre cette époque et se sentir proches du père de la révolution, de son idéologie » progressiste, note-t-il. « Pendant le régime de Compaoré, il fallait être courageux et faire preuve d’audace pour s’afficher avec l’image de Sankara », témoigne Karim Sawadogo, un acheteur de 50 ans.
« Ceux qui osaient mettre les autocollants sur leurs mobylettes, les collaient à des endroits peu visibles (…) sinon, tu étais tout de suite catalogué comme un opposant au régime », explique-t-il.
Mais aujourd’hui, « porter un tee-shirt Sankara ou avoir un autre objet à son effigie, c’est un symbole de liberté, de fierté retrouvée », soutient Prosper Simporé. Ce vendeur de 43 ans, qui « ne vit que pour faire rayonner l’image de Sankara », explique qu’après sa mort, « le régime Compaoré a travaillé à faire disparaître toutes les traces de la révolution ».
« C’est d’ailleurs ce qui m’a motivé à me consacrer à la vente des objets estampillés Sankara. Depuis 2014, c’est-à-dire à la chute du régime Compaoré, l’offre ne fait que croître. Je n’arrive pas à satisfaire la demande et les commandes viennent du monde entier », affirme-t-il entre deux ventes de gadgets dont les prix varient entre 100 FCFA (15 centimes d’euro) et 15.000 FCFA (22 euros).
Autre vendeur, Noufou Ouédraogo, parle de « prix sociaux », car « on veille à ne pas trahir l’esprit de Sankara ». Il affirme en vendre « plus d’une centaine par jour ».