Pretoria (@Afriquinfos 2025) — Dans l’histoire mouvementée de l’Afrique du Sud, rares sont les figures aussi fascinantes et controversées que celle de Nomzamo Winifred Zanyiwe Madikizela-Mandela, plus connue sous le nom de Winnie Mandela. Pendant des décennies, elle a été un symbole de résistance contre l’apartheid, une voix intransigeante contre l’oppression, mais aussi une personnalité dont les zones d’ombre ont profondément marqué l’opinion sud-africaine.

La “Mère de la Nation”
Lorsque Nelson Mandela est emprisonné à Robben Island en 1962, Winnie, son épouse, devient malgré elle le visage public de la résistance. Elle incarne cette Afrique du Sud noire brisée mais fière, debout malgré les coups, malgré l’exil intérieur. Harcelée, emprisonnée, bannie, mais jamais réduite au silence, elle tient tête au régime pendant près de trois décennies.
Dans les années 70 et 80, sa popularité dépasse même celle de son mari, alors encore derrière les barreaux. Pour beaucoup, elle est la “Mère de la Nation”, capable d’enflammer les foules et de porter la voix d’un peuple meurtri.
Winnie Mandela, la case prison
Si tout le monde sait que Nelson Mandela fut incarcéré durant 27 ans, certains ignorent que son épouse Winnie a vécu 491 jours en prison. Activiste de l’ANC, qui luttait contre l’apartheid, elle est arrêtée le 12 mai 1969 sous les yeux de ses filles et placée en cellule d’isolement. Elle écrit alors ses mémoires dans un journal où elle consigne la faim, les tortures, fouilles vaginales et autres humiliations qu’elle subit, qui lui entraînent des troubles cardiaques et des évanouissements. A sa libération, le journal est confié à son avocat, puis tout bonnement oublié. C’est 41 ans plus tard que la veuve de l’avocat rend le journal à Winnie. Elle a beaucoup de mal à relire le récit de la période la plus douloureuse de sa vie. Pourtant, elle choisit de le publier dans un livre intitulé « Un cœur indompté », paru en 2013.
» J’ai pensé qu’il fallait raconter cette histoire pour les générations prochaines, pour que cela ne se reproduise plus. La détention à l’isolement est pire que les travaux forcés. Quand vous étendez les bras, vous touchez les murs, vous êtes réduite à moins que rien. »

Radicalisation et dérives
Mais avec les années, le style de Winnie Mandela change. Si Nelson prônait la réconciliation, elle, parlait de revanche et de lutte armée. Son discours se durcit, tout comme ses méthodes. En 1986, elle fait une déclaration qui restera dans les mémoires :
“Avec nos allumettes et nos pneus, nous libérerons ce pays.”
Cette phrase fait allusion à la pratique barbare du necklacing, consistant à incendier un pneu enflammé autour du cou de supposés collaborateurs du régime. Elle suscite une vive controverse et cristallise l’image d’une Winnie passée de l’héroïsme à la brutalité.
C’est également à cette époque que le scandale du Mandela United Football Club éclate. Ce groupe de jeunes hommes chargés de sa sécurité est accusé d’enlèvements, de tortures et de meurtres, notamment celui du jeune activiste Stompie Seipei en 1989. Winnie sera reconnue coupable d’enlèvement, sa peine sera cependant suspendue.

L’ANC : entre soutien et mise à l’écart
Au sein de l’ANC, le parti au pouvoir après la chute de l’apartheid, Winnie Mandela sera à la fois crainte et marginalisée. Sa relation avec Nelson Mandela, affaiblie par les années d’éloignement, se solde par un divorce en 1996. Elle n’est pas aux côtés de son ex-époux lors de son investiture en 1994, ni dans les cercles intimes du pouvoir.
Pourtant, elle reste populaire dans les townships et auprès des populations noires défavorisées. Son franc-parler, son refus de l’élitisme et son discours anticolonialiste tranchent avec la retenue de la nouvelle classe politique.
Une réhabilitation posthume ?
À sa mort en 2018, l’Afrique du Sud rentre en division. Certains pleurent la combattante inflexible, d’autres rappellent ses dérives violentes. Mais au fil des années, un mouvement de réhabilitation s’opère, porté par une jeunesse noire désabusée, qui voit en elle une figure de vérité, plus proche des réalités de terrain que les élites post-apartheid.
Le mouvement féministe sud-africain la considère comme une pionnière, une femme ayant défié non seulement l’apartheid, mais aussi un système patriarcal rigide au sein même des structures militantes.

Au-delà du manichéisme
Winnie Mandela n’a jamais été simple à classer. Elle fut à la fois une héroïne et une femme politique faillible, une épouse de légende et une actrice politique à part entière. Réduire sa trajectoire à une série de controverses serait oublier le poids de l’époque, la brutalité du contexte. Et la solitude de son combat.
En définitive, elle restera comme une figure tragique, complexe et inoubliable. À l’image de l’Afrique du Sud elle-même, en perpétuelle tension entre mémoire, justice et réconciliation.
Victorine Lenga