Portrait d’Ali Benflis, candidat aux élections présidentielles en Algérie

Afriquinfos Editeur
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Après un passage plus que remarqué à Ghardaïa, puis à Aïn Defla, Tissemsilt et Tiaret, Ali Benflis, ancien premier ministre et candidat aux élections présidentielles algériennes, s’est une nouvelle fois distingué à Tébessa, à l’est du pays. Ses allocutions rencontrent un soutien appuyé de la part de ses partisans et sa renommée va grandissante. Sa campagne commence à attirer l’attention des Algériens qui se pressent dans les petites salles communales, à défaut des grandes et des stades qui lui sont refusés, pour découvrir ce que le candidat propose.

On connaît assez le travers de ce genre de personnage, feront remarquer les plus méfiants. Comment leur en vouloir ? L’Histoire nous a déjà prouvé que les candidats qui se présentaient comme les hommes du peuple étaient souvent les plus démagogues. Susurrer aux populations exaspérées les mots qu’elles veulent entendre, rien de plus facile. Au regard de la situation du pays et du mécontentement de beaucoup d'Algériens, Ali Benflis aurait pu verser aisément dans le populisme.

C’est loin d’être le cas. S’il réunit toutes les caractéristiques du meilleur tribun, il n’hésite pas pour autant à bousculer les vieilles habitudes du pays.

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Car Ali Benflis est un tribun, ses talents d’orateurs, qu'il tient de sa profession d'avocat, sont manifestes. Cela ne fait pas de doute quand on assiste à ses discours : l’homme sait manier le verbe et a un sens aigu de la formule. Son ton est emphatique mais jamais exagéré. Le 17 avril sera « La fête du peuple algérien. Alors, ne laissez pas les violeurs de la souveraineté populaire détourner vos voix », a-t-il proclamé à Tébessa.

Des images fortes, personnifiées, portées par une véritable présence. Une présence qui contraste avec le spectre fantomatique du président sortant Bouteflika, longtemps mutique, désincarné depuis son accident, ce qui lui a d’ailleurs valu de la part d’un opposant une parodie de la chanson de Stromae « Papaoutai », devenue « Boutefoutai ».

Ses discours interpellent dans la forme, mais aussi, et surtout, dans le fond. Ses approches politique, sociétale ou encore économique sont nourries d’une expérience de terrain et d’un important travail en amont. C’est manifeste dans la manière dont il s’adresse aux populations devant lesquelles il fait preuve d'une connaissance approfondie des régions qu’il traverse.

À Ghardaïa Tindouf, situé à l’extrême sud-ouest du pays, où il est le premier à avoir pris la peine de venir, il s’est soucié de la baisse des prix des billets d’avion pour l’équité territoriale. En Kabylie, il s’est prononcé en faveur de l’«émancipation du tamazight », la langue berbère. À Tébessa, les problématiques locales de contrebande aux frontières n'ont pas échappé au candidat. Son approche n’est pas celle, ultra sécuritaire, du président Bouteflika. Il ne s’agit pas de colmater les brèches, mais de traquer le problème à la source.

"Ce qui conduit à la contrebande, c’est la misère ! Ça ne sert à rien de s’attaquer à ce fléau, si on ne s’attaque pas à ses causes. Nous, nous allons nous attaquer à la misère ! Ensuite on s’occupera de ce qu’elle enfante : la contrebande."

Sur le plan économique, il aurait pu tomber dans le piège de la démagogie. Or son discours est tout sauf facile à entendre. Il s’agit de rompre avec la stratégie menée durant les mandats Bouteflika, qui s’appuie sur la rente pétrogazière, et d’engager les réformes qui favoriseront un nouveau mode de gouvernance. Plus facile à dire qu’à faire, c'est certain, mais surtout, très désagréable à entendre. Après examen de la situation du pays et du déclin acté des hydrocarbures, c’est pourtant la solution qui apparaît comme étant la plus viable sur le long terme. Mais bien peu se risquent à faire de telles propositions.

Une position économique qui remporte les suffrages des jeunes entrepreneurs du pays, car il répond à leurs attentes, exprimée d un manifeste du Think Tank Nabni publié en ligne :

"Arrêtons de bâtir l’avenir du pays sur l’espoir de marchés d’hydrocarbures qui nous seraient favorables, sur ce que pourrait nous réserver notre sous sol ou sur l’illusion d’une rente encore renouvelable pendant des décennies. Compter sur la rente revient à perpétuer les causes profondes de notre sous-développement. Spéculer sur son devenir et espérer qu’elle sera encore longtemps à nos côtés revient à faire dépendre l’avenir de l’Algérie de l’issue risquée d’un «jeu de dés»."

Tout aussi risqué en période de campagne: son discours relatif au système régionaliste, qu’il faut selon lui démanteler. Encore un bouleversement inédit, une déconstruction osée de ce que les Algériens croient être l’ADN de leur pays. En faisant jouer les affinités claniques et en favorisant certaines wilayas (ce sont les départements en Algérie ndlr) au détriment d’autres , les hommes politiques au pouvoir renforcent depuis des années les inégalités territoriales de richesses.

Ali Benflis ne l’entend pas de cette oreille et compte assurer « une meilleure prise en charge des problématiques qui se posent au niveau local et favorisant l’intégration régionale (intégration interwilayas et intercommunales), pour les programmes de développement ». C’est écrit noir sur blanc dans le programme.

Homme du peuple, fin orateur, porteur d’une approche économique pragmatique et d’un vrai bon sens politique, Ali Benflis convainc de plus en plus d’Algériens. Rien d'étonnant à ce que l’équipe d’Abdelaziz Bouteflika se sente menacée. Après les inquiétudes exprimées par Ali Benflis relatives aux fraudes lors des élections, elle l'a directement attaqué dans un communiqué :

"Le discours de Monsieur Ali Benflis, outre d’être porteur de menaces ciblées, s’attelle, depuis le démarrage de cette campagne, à semer le doute sur la transparence des élections, se posant de façon anticipée en victime de fraude, posant sa victoire comme inéluctable, malgré les signes, qui ne trompent pas, d’une débâcle électorale annoncée le concernant."

 

Ecrit par Elisa Garner

 

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