C’est le quotidien britannique « The Guardian » qui a tiré la sonnette d’alarme en 2013 en dénonçant dans une enquête, les conditions de travail de la main-d’œuvre népalaise employée au Qatar pour construire les stades du Mondial de foot 2022.
Selon le journal qui cite des documents fournis par l’ambassade népalaise à Doha, au moins 44 travailleurs sont morts sur les sites entre le 4 juin et le 8 août 2013 succombant pour la plupart à des crises cardiaques ou des suites d’un accident du travail et des milliers d’autres endurent de pénibles conditions de travail.
«The Guardian» dépeint une chaîne d'exploitation tendue caractérisée par le sous-paiement, des conditions de travail pénibles et la confiscation des passeports, entre des villageois népalais et les puissants dirigeants du Qatar pour les préparatifs de ce grand tournoi sportif. Les ouvriers népalais constituent, d’après le quotidien, le plus grand contingent de travailleurs étrangers au Qatar, dans un pays où plus de 90% de la main-d’œuvre est issue de l’immigration.
L’enquête publiée par le journal rapporte les témoignages des ouvriers qui affirment n'avoir pas eu accès à l’eau potable alors qu'ils travaillent dans une chaleur intense, supérieure parfois à 50°ou dénoncent les nuits passées à douze dans une chambre insalubre, sans compter, pour beaucoup, l’obligation de rembourser au prix fort leur voyage aux « agences » qui les ont recrutés à des taux d’intérêt qui peuvent atteindre jusqu’à 36 %.
Une terrible exploitation selon les ONGqui estiment que le Qatar aurait besoin d'au moins 1,5 million d’ouvriers supplémentaires pour construire les stades, routes, ports et hôtels exigés par la compétitionsans compter l’immense chantier de Lusail City, la nouvelle ville qui accueillera le futur grand stade. De grands travaux pour lesquels l’émirat pourrait investir jusqu’à 74 milliards d’euros dans la construction de stades, de routes et d’un réseau ferroviaire.
Série de réactions
La situation n’a pas tardé à faire réagir plusieurs organisations défenseurs des droits de l’homme.
Pour le directeur de l’ONG Anti Slavery International, Aidan McQuade, «ce n’est plus un risque que la Coupe du Monde repose sur le travail forcé,c’est déjà en train d’arriver».
La secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, Sharan Burrow, est allée dans le même sens en qualifiant le Qatar« d’Etat esclavagiste », lors d’un congrès de l'Organisation internationale du travail (OIT), en juin à Genève.
A Londres, une manifestation dénommée «pas de Coupe du monde sans les droits des travailleurs » s’est tenue en mai 2013.
Du côté de Bruxelles, une vingtaine de membres de la CSC bâtiment-industrie et énergie, de la Centrale Générale de la FGTB, des représentants du syndicat népalais GEFONT et des travailleurs du bâtiment et du bois ont mené une action de sensibilisation.
« Nous essayons ainsi d'influencer la FIFA pour lui rappeler qu'elle doit aussi prendre en compte la situation socio-économique du pays », avait déclaré Rik Desmet, secrétaire fédéral de la Centrale générale de la FGTB.
La FIFA réagit
Face aux multiples appels, la FIFA n’a pas tardé à se prononcer. Devant les révélations du journal britannique, la fédération s'est déclarée «très préoccupée à propos des rapports dans les médias faisant état d’abus en matière de droit du travail et des conditions des travailleurs de la construction des projets menés à Lusail City, au Qatar».
« Il est clair qu'il y a des problèmes au niveau des conditions de travail sur les chantiers du Mondial 2022 au Qatar » avait reconnu Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA lors d'une conférence de presse, « mais les changements en cours actuellement au Qatar sont dus au pouvoir de la Coupe du monde » avait- il tenté de justifier.
Cependant la FIFA n’a pas manqué de hausser le ton etde sommer le Qatar en janvier 2014, de prendre des mesures concrètes. En réponse, en mai 2014, l'émirat avait promis d'abolir la "kafala", le système de parrainage local qui fait des salariés des propriétés de leur employeur, et son remplacement par « un système de contrat de travail ».
Le Qatar a également annoncé qu'il allait introduire un système de paiement des salaires tel que les ouvriers seraient payés au moins une fois par mois.
De son côté, le comité suprême Qatar 2022, chargé de l’organisation de la Coupe du monde, a assuré que des clauses garantissant les droits des travailleurs allaient être insérées dans tous ses contrats. « Il y a des difficultés pour calculer les heures supplémentaires mais nous travaillons avec l'entreprise pour rectifier toute infraction »,avait déclaré au journal « quotidien » un porte-parole du comité d'organisation.
Un problème de réglé. Mais la question des conditions des employés n’est pas le seul problème auquel a été confronté la FIFA ces derniers mois. Depuis quelques temps, des rumeurs de corruption ont également entaché le processus de désignation de l'émirat comme hôte de cet événement sportif.
Le 3 décembre 2010, au lendemain de l'attribution de la compétition au Qatar, des accusations de corruption avaient été lancées par le «Sunday Times» puis par la BBC. Un point de vue que le président américain OBAMA, avait partagé , qualifiant ce choix de « mauvaise décision ».
En janvier 2013, la polémique rebondit en France avec la publication dans le bihebdomadaire « France Football » d'une enquête intitulée «Qatargate» reprenant les propos de Guido Tognoni comparant la FIFA à «une petite mafia».
Le journal évoque une réunion secrète à l'Élysée organisée le 23 novembre 2010, soit une dizaine de jours avant le vote de la FIFA, entre N. Sarkozy, alors président de la République, et des membres du comité d’organisation dans le but de favoriser le choix du Qatar .
Suite à ces accusations de corruption, la FIFA a ouvert une enquête sur les conditions d'attribution des Mondiaux 2018 en Russie et 2022 au Qatar. Mais à ce jour aucun résultat n’a été publié .
Récemment, le député travailliste britannique Micheal Connarty, a qualifié cette enquête de « farce » et « une tentative d’étouffer l’affaire » de la part de la Fifa.
En mai 2014, dans une interview accordée à la TV suisse, Sepp Blatter a reconnu que le fait d’avoir accordé au Qatar l’organisation du Mondial 2022 était une erreur en précisant que « c'était la volonté politique, aussi bien en France, qu’en Allemagne ».
Des affirmations qu’il confirmera dans une autre interview accordée à l'hebdomadaire allemand «DIE ZEIT» en janvier dernier. « Des chefs de gouvernement européens ont conseillé à leurs membres qui pouvaient voter de se prononcer pour le Qatar, parce qu'ils étaient liés à ce pays par des intérêts économiques importants», a-t-il déclaré. Ces propos vont relancer le débat ces derniers jours.
Mais pour le président de la Fifa, les dés sont déjà lancés. «Faudrait vraiment qu'il y ait un séisme pour retirer l’organisation de la Coupe du monde à l’Emirat » a-t-il prévenu. .
La Coupe du monde de football de 2022, compétition organisée par la FIFA est la 22e édition, qui réunit les meilleures sélections nationales. Elle se déroulera au Qatar du 21 novembre au 18 décembre 2022 avec une estimation du marché télévisuel potentiel à 3,2 milliards de téléspectateurs. Il est prévu de construire neuf nouveaux stades et d'en moderniser trois autres. Afin de lutter contre les températures extrêmes de la région, le Qatar développe un système de climatisation dans les stades.
Larissa AGBENOU