Un soir de décembre 2011, cinq hommes armés arrivent à bord d’un véhicule, tirent sur le poste de gendarmerie mauritanien d’Addel Begrou et kidnappent un gendarme avant de s’enfuir au Mali, à quatre kilomètres de là. C’est la dernière attaque imputée à des jihadistes qu’a connue la Mauritanie, il y a plus de 13 ans. Cet Etat est pourtant le 3è plus vaste en Afrique occidentale, derrière le Niger et le Mali.
Alors que les attaques jihadistes gangrènent le Sahel, du Mali au lac Tchad, la Mauritanie se démarque par sa stabilité. Ce pays majoritairement désertique d’Afrique de l’Ouest partage pourtant 2.200 kilomètres de frontières souvent poreuses et mal définies avec le Mali, en proie à une insurrection jihadiste. De 2005 à 2011, la République islamique de Mauritanie a été la cible de plusieurs actions de groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda: attaques contre des militaires, des Ambassades étrangères, ou assassinats et enlèvements d’Occidentaux.
En réponse, la Mauritanie a élaboré une stratégie multiforme en commençant par muscler son appareil sécuritaire à partir de 2008. Le pays crée les Groupements Spéciaux d’Intervention (GSI), des unités de l’Armée très mobiles pouvant évoluer dans le désert, qui sont appuyées par une aviation légère. Ce « modèle flexible et amovible » a été pensé par les Mauritaniens, souligne Hassan Koné, ancien colonel de l’Armée et chercheur à l’Institut d’études et de sécurité (ISS).
– « Modèle flexible et amovible » –
« La question qui s’est posée pour eux, c’est celle de la mobilité dans un espace désertique », explique Mohamed Fall Ould Bah, du Centre d’Études et de Recherches sur l’Ouest saharien (CEROS). Les emblématiques méharistes, ces gendarmes du désert perchés sur leurs dromadaires, sont chargés de collecter du renseignement dans la région désertique, à l’est du pays et d’apporter une présence de l’Etat auprès des populations nomades. « La Mauritanie a mis en place un réseau efficace de renseignements humains, particulièrement actif dans la région frontalière orientale de Hodh El Chargui », relève le département d’Etat américain dans son rapport sur le terrorisme de 2023.
Dans cet Etat sécuritaire, des postes de contrôle maillent les routes du pays. La partie nord-est de la Mauritanie, essentiellement non habitée, est une zone militaire interdite aux civils depuis 2008, pour faciliter sa surveillance et éviter qu’elle ne devienne un lieu de repli pour les jihadistes.
– Réponse théologique –
La Mauritanie s’est par ailleurs engagée dans un débat théologique pour contrer la radicalisation de ses ressortissants. Dans les années 2000, Al-Qaïda comptait des Mauritaniens parmi ses cadres. Au terme d’un dialogue mené en 2010 par des théologiens mandatés par le Gouvernement, des dizaines d’islamistes radicaux en détention ont signé leur « renoncement à la violence« . « Dans une bataille idéologique, vous devez produire un contre-narratif. Il faut un discours alternatif à l’interprétation jihadiste. La Mauritanie a mobilisé le clergé national sur des réponses doctrinales à l’ensemble des points sur lesquels s’appuient les jihadistes », explique Amadou Sall, du groupe de réflexion ‘Mauritanie Perspectives‘.
« L’Etat a organisé un système assez complexe » de « contrôle de l’idéologie » prêchée dans les mosquées, souligne M. Ould Bah.
– Thèse du pacte –
Plusieurs experts évoquent toutefois la possibilité d’un pacte de non-agression entre la Mauritanie et Al-Qaïda. Les autorités mauritaniennes ont toujours fermement nié l’existence d’un tel accord. « Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il y a eu un pacte. C’est largement admis », indique Michael Shurkin, un ancien agent de la CIA et directeur des Programmes mondiaux chez ’14 North Strategies’, une entreprise de Conseil.
« Si des membres du JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, le groupe jihadiste le plus influent au Sahel, NDLR) franchissent ouvertement la frontière avec leurs armes, les Mauritaniens les arrêtent. Mais s’il s’agit d’individus isolés, il semblerait que les Mauritaniens ne posent pas trop de questions. (…) Mais ils surveillent, ils sont très attentifs à qui franchit la frontière », poursuit M. Shurkin. « Le territoire mauritanien est vaste, l’Armée mauritanienne n’est pas assez puissante et forte. La sécurité en Mauritanie, c’est le résultat de plusieurs mesures y compris de négociations avec les groupes terroristes », affirme une source sécuritaire qui soutient la thèse d’un accord passé au début des années 2010.
« Je ne sais pas si ça existe toujours, mais la Mauritanie est toujours épargnée », relève cette même source. Cette théorie ne convainc pas d’autres experts comme Amadou Sall. Selon lui, le contexte dans l’est mauritanien n’est pas celui du reste du Sahel où les groupes jihadistes prospèrent sur un sentiment de marginalisation des populations recrutées. « L’offre jihadiste (en Mauritanie) n’est pas alléchante comparée à un Etat qui fait des puits, soigne les cheptels, organise les transhumances », souligne M. Sall.
Toute la partie est de la Mauritanie reste toutefois « formellement déconseillée » par de nombreux pays. Du côté malien de la frontière, les groupes jihadistes demeurent très actifs, notamment dans la région de Kayes (sud-ouest) où les attaques violentes ont été multipliées par 7 entre 2021 et 2024, selon le Timbuktu Institute.
© Afriquinfos & Agence France-Presse