Manoeuvres pour empêcher l’APC de Bola Tinubu de se muer en parti unique au Nigeria

Afriquinfos Editeur
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Le Président nigérian Bola Ahmed Tinubu lors d'un Sommet ouest-africain le 15 décembre 2024 à Abuja.

Une vague récente de défections dans les rangs des principaux partis d’opposition au Nigeria renforce le parti au pouvoir, consolidant la position du Président Bola Tinubu à moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle.

Des dizaines de responsables politiques de l’opposition, dont deux Gouverneurs en exercice, un ancien Vice-président ainsi qu’un grand nombre de parlementaires, ont rallié le camp présidentiel depuis l’arrivée au pouvoir de M. Tinubu en mai 2023. Les critiques de M. Tinubu accusent le Président et son Gouvernement d’alimenter les divisions au sein de l’opposition et les experts y voient le reflet d’une culture politique opportuniste qui prévaut depuis longtemps dans le pays.

Depuis le retour à la démocratie en 1999, le PDP (Parti démocratique populaire) et l’APC (Congrès des progressistes) au pouvoir, aujourd’hui dirigé par le Président Tinubu, dominent la scène politique et se succèdent à la tête du pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 220 millions d’âmes). Mais la nouvelle vague de désertions fragilise le bipartisme traditionnel et consolide l’influence du Chef de l’État nigérian à 20 mois de la prochaine présidentielle.

Parmi les derniers ralliements à l’APC figurent les Gouverneurs des États pétroliers du sud Akwa Ibom et Delta, bastions du PDP depuis 1999. Le Vice-président Kashim Shettima, plus d’une dizaine de Gouverneurs APC et des responsables du parti ont célébré le week-end dernier le ralliement au parti présidentiel du Gouverneur d’Akwa Ibom, Umo Eno, lors d’une cérémonie aux allures de carnaval en présence de dizaines de milliers de partisans. M. Eno a justifié sa décision par son « admiration critique et son profond respect » pour le Président Tinubu.

Plusieurs figures politiques ont invoqué des luttes internes dans les principaux partis d’opposition, le PDP et le Parti travailliste, pour justifier leur départ.

– Craintes d’un État à parti unique –

Outre le renforcement de la majorité de l’APC au sein de l’Assemblée nationale, forte 469 de sièges, 23 des 36 Gouverneurs d’États sont membres du parti au pouvoir, contre 10 pour le PDP. Les autres partis d’opposition en comptent un chacun. Pour Bamidele Olajide, professeur de Sciences politiques à l’Université de Lagos, la politique au Nigeria obéit à « la politique du partage ». « Les gens sont là pour ce qu’ils peuvent obtenir », explique-t-il.

D’autres experts estiment que ces défections vont mener le pays vers un régime à parti unique, mais également ébranler la confiance de la population envers l’Etat. « Cela ne pourra être corrigé que par des institutions fortes et fonctionnelles, ainsi que des processus électoraux qui ne peuvent être sapés par des individus au pouvoir », a expliqué à l’AFP Hamzat Lawal, fondateur de l’ONG the Connected Development, qui aide les communautés marginalisées à pouvoir accéder aux services essentiels.

– Crise économique –

M. Tinubu a lui-même été dans l’opposition pendant près de 20 ans. Il a joué un rôle déterminant au sein de l’APC en 2013, en unissant plusieurs partis d’opposition, ce qui a contribué à la victoire de son prédécesseur Muhammadu Buhari, mettant fin aux 16 ans de pouvoir du PDP à la tête du pays. Mais si son parti continue d’accueillir de nouveaux membres, rien ne garantit que cela se traduise par des bulletins de vote en faveur du APC.

La grave crise du coût de la vie, la pire depuis une génération, engendrée par les réformes de M. Tinubu visant à relancer l’économie et à attirer les investisseurs, suscite la colère d’une grande partie de la population. Pour Nasir El-Rufai, ancien Gouverneur de l’APC dans l’État de Kaduna (nord-ouest), cette vague de défections ne renforcera pas les chances de réélection de Tinubu s’il se représente.

M. El-Rufai a quitté l’APC en avril pour rejoindre un plus petit parti d’opposition, le Social Democratic Party, justifiant son départ par des « dysfonctionnements internes ». Il milite désormais pour une coalition visant à évincer l’APC lors des prochaines élections générales. « Le peuple nigérian, ceux qui votent réellement, ne désertent pas », a-t-il déclaré aux médias locaux le mois dernier. Il fait partie des anciens cadres de l’APC qui se sont alliés à des figures majeures de l’opposition, dont l’ancien Vice-président Atiku Abubakar, pour former ce mois-ci l’Alliance démocratique unie (ADA), espérant ainsi déloger M. Tinubu en 2027. 

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