«Les Togolaises sont décidées à aller de l’avant» : Me Aquereburu, chef d’entreprise

Afriquinfos Editeur
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Le Togo fut pendant de longues années le carrefour commercial de l’Afrique occidentale, grâce à la réputation du « Grand marché de Lomé » dominé par les célèbres « Nana Benz ». En dehors de la crise sociopolitique, qu’est-ce qui explique la faible représentativité des femmes dans l’économie formelle du Togo, un pays dans lequel le taux de scolarisation féminine est en progrès ?

Bien que le taux de scolarisation féminine soit en progrès, il faut noter que les femmes d’affaires de notre pays demeurent peu lettrées en général et il est difficile pour elles de cerner la politique nationale de promotion des entreprises privées mise en place par le gouvernement.
Le fonctionnement de l'administration est ressenti par les femmes comme étant complexe, lourd et lent ; par exemple, la création d'une entreprise et son fonctionnement sont soumis à un certain nombre de règles administratives qui sont souvent perçues comme contraignantes par les femmes entrepreneures. Du coup, les femmes trouvent peu d'intérêts ou d’avantages à adopter ce statut. Conséquence, elles préfèrent rester dans l'informel ! Il faut aussi remarquer que la plupart des jeunes filles reprennent le commerce de leur mère et restent ainsi dans l’informel, malgré leur niveau d’études.

Pour améliorer cette représentativité, quel type de discours tenez-vous, à l’AFCET, à vos compatriotes féminines de l’informel ?

Nous leur tenons des discours très simples susceptibles d’être compris par elles, compte tenu de leur niveau d’instruction :
« Vous êtes de braves femmes travaillant beaucoup mais personne, aucune autorité, ne vous connaît parce que vous n’êtes enregistrées nulle part ; les services de l’impôt et les agents du ministère du Commerce viennent vous tricher ; venez vous faire inscrire au Registre du commerce pour donner plus de valeur à vos millions et au dur travail que vous accomplissez. Il y a beaucoup d’avantages qui vous attendent si vous vous faites enregistrer : vous serez plus visibles, vous serez reconnues par les banques qui n’hésiteront plus à mettre de gros crédits à votre disposition, vous aurez accès à des lignes de crédit car vous serez plus visibles, plus transparentes ; vous pouvez bénéficier d’avantages fiscaux liés aux investissements réalisés grâce aux amortissements, vous payerez moins d’impôt…..etc. » ! Autant de doux mots pour les attirer vers le formel qui effectivement est plus porteur pour elles.

Convaincre des dames qui ont évolué et surtout prospéré dans l’informel de mère en fille de rejoindre, du jour au lendemain, le monde du formel ne doit pas être une tâche aisée, nous imaginons…

Ce n’est pas facile, mais certaines veulent exister, avoir des papiers même si l’esprit de dissimulation est toujours là.
Jusqu’à présent, nos discours restent de vains mots car ce n’est pas encore entré dans leurs mœurs d’aller se faire enregistrer ou se faire connaître par l’Etat. Pour elles, c’est le commerce, rien que le commerce, réaliser des bénéfices pour subvenir aux charges de leurs familles, même sans l’apport de leurs époux. Ce qu’elles parviennent à faire sans difficultés, parce que les affaires marchent pour elles, bien qu’étant dans l’informel.

Au Togo où les femmes représentent 52% dans une population extrêmement jeune, l’AFCET ne gagnerait-elle pas plus à inculquer l’éducation entrepreneuriale aux jeunes filles dès le bas âge ou au début de leur formation universitaire ?

Effectivement, il vaut mieux commencer cette sensibilisation dès le bas âge et l’AFCET s’est déjà mise dans cette logique; nous n’en voulons pour preuve que l’une des activités ayant meublé la célébration de nos dix ans : nous avons choisi de prendre en charge cinquante (50) jeunes filles sur toute l’étendue du territoire, soit 10 femmes par région économique, pour leur éducation, leur formation entrepreneuriale. Nous avons beaucoup d’autres projets dans ce sens. Néanmoins, inscrire de telles sensibilisations dans les programmes universitaires ne serait un plus. Il faut aussi les former à la diversification des activités, les tourner vers l’agriculture, la petite industrie, etc.

Votre Association vient de souffler dix ans d’existence. Quels sont vos chantiers prioritaires, en dehors des perspectives que nous venons d’évoquer ?

Nos chantiers prioritaires sont multiples. Cependant, nous voulons prioritairement mettre l’accent sur le RPEF (Renforcement du Pouvoir Economique des Femmes) et la promotion de l’égalité de genre, car cela contribue à la réduction de la pauvreté (croissance économique), à la réduction des violences basées sur le genre, accroît les possibilités de planification familiale et diminue l’augmentation du VIH/SIDA, etc.
Cela produit également un large effet multiplicateur pour le développement humain, car souvent, il y a une corrélation positive sur la santé et l’éducation des enfants dont les mamans sont fortes économiquement.

Avoir accès à un bon financement est l’un des soucis majeurs de tout entrepreneur. Les statistiques démontrent que seules les micro-finances font confiance à la Togolaise, avec des conditionnalités qui peuvent encore être améliorées. Un plaidoyer de l’AFCET sur le sujet devrait baliser la voie à l’émergence d’une nouvelle ère de femmes d’affaires dans le formel…

C’est vrai, nous avons remarqué que les micros-finances, avec leurs offres, appauvrissent les femmes plutôt que de les enrichir. Nous avons en effet commencé des plaidoyers auprès des banques et des projets de partenariat avec certaines institutions bancaires sont bien avancés et encourageants. Nos efforts visent in fine à attirer vers ces institutions bancaires les femmes que nous aurons formées à une bonne gestion des crédits bancaires obtenus et dont nous aurons rendu les dossiers bancables. Nous espérons qu’avec ces atouts, elles décideront de sortir définitivement de l’informel pour s’installer dans le formel.
Le plaidoyer se fait aussi au niveau des institutions de micro-finance pour qu’elles revoient leurs taux ; mais on ne peut pas espérer grand-chose. Nous ne désespérons pas pour autant.

Après une longue traversée du désert, l’économie togolaise a connu l’année dernière une croissance de 4,8%. Me Aquereburu, il y a à n’en point douter du terrain à occuper par les femmes. Dans cet élan de dynamisme, quels sont les secteurs d’activité qui tendent le plus la main aux Togolaises ? Comment doivent-elles s’y prendre pour peser dans cette balance de la relance ?

Les femmes avaient majoritairement occupé le secteur du commerce et s’en sortaient bien. Mais aujourd’hui, beaucoup plus que le commerce, le principal secteur porteur de croissance demeure l’agriculture. Les femmes y étaient mais d’une manière rudimentaire et travaillaient énormément pour des résultats dérisoires ; les terres qu’elles cultivent ne leur appartenant pas généralement. Elles ont donc besoin d’être aidées par les politiques qui doivent répondre à leurs multiples besoins, leur garantir le même accès aux ressources qu’aux hommes et leur accorder un rôle à jouer dans la prise de décisions.
Des estimations ont montré que si les femmes bénéficient du même accès aux ressources productives que les hommes, elles pourraient augmenter les récoltes de leurs exploitations agricoles de 20 à 30 %, permettant de sortir de la famine 100 à 150 millions de personnes.
Nous n’oublions pas les services, notamment les professions libérales pour leur indépendance et leur liberté ainsi que les industries manufacturières. Nous souhaiterions que les femmes excellent également dans les transformations et conservations de leurs productions ou les voir dans les constructions de routes, ponts et grands bâtiments.

En dépit de la modernité qui a gagné divers pans de l’économie togolaise, la vente de pagnes révolutionnée par les « Nana Benz » demeure une activité caractéristique de la femme d’affaires ou commerçante togolaise. Me Adjoa Aquereburu, pour pérenniser l’héritage des « Nana Benz », l’AFCET ne peut-elle pas jeter les bases de la création d’une véritable industrie du pagne au Togo en fédérant les énergies de tous les acteurs phares de ce secteur dans un même creuset ?

L’AFCET fait le plaidoyer auprès des autorités pour la réhabilitation de l’usine de textile de Datcha qui produisait des pagnes appréciés dans la sous-région. Cela éviterait aux femmes de faire le long voyage sur la Chine et Hongkong avec tous les risques que cela comporte et même vers le Ghana ou le Nigéria.
Cependant, il faut remarquer que le secteur textile même est en crise dans le monde. La Chine mène une rude concurrence aux industries textiles sur la planète, et chez nous ici, la concurrence faite aux tissus « wax hollandais » par exemple est très rude.
Quant à créer une industrie du pagne, cela pourrait être l’initiative d’un membre de notre Association, mais cela n’est pas pour le moment dans les objectifs de l’AFCET. Il faudrait bien étudier les retombées, vu les coûts des matières premières et de la main d’œuvre.

Désormais interlocutrice incontournable auprès du gouvernement sur les questions économiques impliquant le devenir de la femme, l’AFCET demeure "inconnue" du grand public. Mme la présidente, que fait votre structure pour être plus visible au Togo ?

Non, pas du tout, l’AFCET n’est pas si inconnue du grand public que cela. Les grandes fédérations et associations de femmes commerçantes et femmes d’affaires savent que nous sommes là et n’hésitent pas à solliciter nos concours quand elles en ont besoin, surtout quand il s’agit d’intervenir auprès des autorités compétentes, car elles savent que nous avons une audience.
Toutefois, comme l’a si bien dit le chef de l’Etat Faure E. Gnassingbé, les avancées n’épuisent pas les défis. Nous devons passer à une autre échelle, faire en sorte que nous puissions par notre dynamisme mais aussi avec le soutien de nos partenaires, consolider nos acquis et combler les attentes des femmes.

Au regard de toutes les conjectures et perspectives que nous venons d’explorer, peut-on conclure que l’avenir de l’entreprenariat féminin au Togo engage plus la détermination des Togolaises elles-mêmes que tout soutien externe ?

Nous sommes décidées à aller de l’avant et personne de l’extérieur ne viendra agir à notre place. Grâce à notre dynamisme, notre ardeur au travail bien fait, notre esprit de créativité et d’entrepreneure, nous réaliserons des percées aussi bien sur le plan national qu’international.
Néanmoins, le soutien de l’Etat à l’entreprenariat ne serait pas de trop. On peut mettre en place des subventions sous diverses formes ; par exemple alléger certains droits de douanes et taxes, mettre sur pied des fonds de soutien aux PME, etc.
C’est la synergie de la force de travail des femmes elles-mêmes et du soutien sous toutes formes qui fera que cet entreprenariat féminin sera plus fort et plus prospère.

Interview réalisée par Edem Gadegbeku