Les routes d’Afrique de l’Ouest, terrain d’affrontements privilégié des groupes terroristes

Afriquinfos Editeur
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Un détachement d'une force armée ouest-africaine (DR, La Cinquième)

The Conversation -Quel est le lien entre les routes et les conflits en Afrique de l’Ouest ? Cette question peut sembler étrange. Mais une étude que nous avons menée montre qu’il existe une relation étroite entre les deux.

Nous sommes chercheurs dans le domaine de la violence politique transnationale. Nous avons analysé 58 000 événements violents survenus en Afrique de l’Ouest entre 2000 et 2024. Nous nous sommes concentrés sur l’identification de schémas de violence en relation avec les infrastructures de transport.

Des données empiriques suggèrent que les routes, les ponts, les pipelines et autres systèmes de transport sont de plus en plus attaqués en Afrique de l’Ouest, mais on sait peu de choses sur les raisons, les endroits précis et les responsables de ces attaques.

La violence en Afrique de l’Ouest résulte d’un mélange complexe de facteurs politiques, économiques et sociaux. La faiblesse de la gouvernance, la corruption, les inégalités entre les zones urbaines et rurales et la marginalisation de certaines populations ont été exploitées par de nombreux groupes armés, notamment des réseaux criminels transnationaux et des extrémistes religieux.

L’Afrique de l’Ouest est l’une des régions les plus violentes au monde depuis le milieu des années 2010. Rien qu’en 2024, l’initiative Armed Conflict Location and Event Data (ACLED) a enregistré plus de 10 600 événements de violence politique dans la région. Ceux-ci allaient des combats entre groupes armés, explosions et autres formes de violence à distance, aux attaques contre des civils non armés. On estime à 25 600 le nombre de personnes tuées. C’est le statu quo dans la région depuis près d’une décennie.

Les résultats de notre étude montrent que 65 % de toutes les attaques, explosions et violences contre des civils enregistrées entre 2000 et 2024 ont eu lieu à moins d’un kilomètre d’une route.

Seuls 4 % de tous les événements se sont produits à plus de 10 km d’une route. Cette tendance est constante pour tous les types de routes, mais elle est plus marquée à proximité des autoroutes et des routes principales.

Nous pensons que cette tendance s’explique par la concurrence féroce entre les acteurs étatiques et non étatiques pour l’accès et l’utilisation des routes.

Les gouvernements ont besoin de réseaux routiers bien développés pour de nombreuses raisons, notamment pour gouverner, favoriser l’activité économique et assurer la sécurité. Les routes permettent la mobilité militaire et réduisent les sanctuaires potentiels pour les insurgés dans les régions reculées.

Les groupes insurgés considèrent également les réseaux de transport comme des cibles privilégiées. Ils leur offrent en effet la possibilité de bloquer des villes, de tendre des embuscades aux convois, de kidnapper des voyageurs, d’utiliser des mines terrestres et de détruire des infrastructures essentielles.

Nos recherches s’inscrivent dans le cadre d’un travail de longue haleine visant examiner le lien entre infrastructure et insécurité en Afrique de l’Ouest. Nos dernières recherches confirment les conclusions précédentes établissant un lien entre les deux. Les réseaux de transport sont devenus des champs de bataille pour les groupes extrémistes qui cherchent à déstabiliser les États, à isoler les communautés et à étendre leur influence.

Un vaste réseau routier

Le réseau routier ouest-africain est vaste. Il est estimé à plus de 709 000 km par le Global Roads Inventory Project. Il reste à la traîne par rapport à d’autres régions africaines, cependant. Par exemple, les routes revêtues restent relativement rares en Afrique de l’Ouest (17 % du réseau régional) par rapport à l’Afrique du Nord (83 %).

Le mauvais entretien des routes coûte cher aux pays de l’Afrique de l’Ouest. Il rallonge les délais de transport des produits périssables, réduit la durée de vie des camions, provoque davantage d’accidents et réduit les interactions sociales entre les communautés.

Toutefois, on observe des variations importantes dans la qualité des routes à travers la région. Le pourcentage de routes revêtues varie entre 37 % au Sénégal et un peu plus de 7 % au Mali. Le Nigeria possède le plus grand réseau routier d’Afrique de l’Ouest, avec environ 195 000 km, mais une grande partie de celui-ci s’est détériorée en raison d’un mauvais entretien.

La violence routière est en hausse

Nous avons constaté que les attaques liées à la route sont en augmentation depuis l’émergence des groupes djihadistes au milieu des années 2010. Seules 31 embuscades contre des convois ont été signalées au Burkina Faso, au Tchad, au Mali et au Niger entre 2000 et 2015, contre 497 entre 2016 et 2023.

Les attaques se produisent fréquemment sur les mêmes tronçons routiers, comme autour de Boni dans les montagnes de Gourma, où Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM) a mené neuf attaques contre les forces maliennes et les mercenaires Wagner entre 2019 et 2024.

En 2011, les violences étaient les plus concentrées à proximité des routes, avec 87 % des incidents à moins d’un kilomètre d’une route. Notre analyse montre que, bien qu’elle reste élevée, la proportion des incidents situés à proximité immédiate des routes a diminué après 2000 : 59 % en 2022 et 60 % en 2024. Cette évolution reflète la ruralisation des conflits en Afrique de l’Ouest. Les insurgés djihadistes ciblant de plus en plus les zones rurales et les petites villes, une part croissante des événements violents se produit également loin des routes.

Les routes les plus dangereuses d’Afrique de l’Ouest

Nos conclusions montrent que la violence contre les infrastructures de transport est très inégalement répartie en Afrique de l’Ouest et que certains tronçons routiers sont régulièrement pris pour cible. C’est particulièrement le cas dans le centre du Sahel, le bassin du lac Tchad et l’ouest du Cameroun.

Par exemple, la route périphérique de 350 km reliant Bamenda à Kumbo et Wum au Cameroun est la route la plus violente d’Afrique de l’Ouest, avec 757 incidents depuis 2018, en raison du conflit entre le gouvernement et les séparatistes ambazoniens.

Les tronçons les plus longs de routes dangereuses se trouvent au Nigeria, en particulier ceux qui relient Maiduguri, dans l’État de Borno, à Damaturu, Potiskum, Biu et Bama.

Dans le centre du Sahel, la route entre Mopti/Sévaré et Gao est de loin l’axe routier le plus violent, avec 433 incidents depuis le début de la guerre civile au Mali en 2012. Au sud de Gao, la route nationale 17 menant à la frontière nigérienne et la route nationale 20 en direction de l’est vers Ménaka ont connu respectivement 177 et 139 incidents depuis que l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) a intensifié ses activités dans la région en 2017.

Au Burkina Faso, toutes les routes menant à Djibo près de la frontière avec le Mali ont connu des niveaux élevés de violence depuis le début des années 2020.

Construire des infrastructures de transport pour promouvoir la paix

Les routes constituent un élément important des stratégies anti-insurrectionnelles de l’État et une cible stratégique pour les militants locaux. Notre travail souligne que les infrastructures de transport sont largement absentes des débats qui mettent l’accent sur le renforcement des interventions de l’État comme moyen de lutter contre l’insécurité. Soixante ans après l’indépendance de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, l’accessibilité routière reste difficile dans la région.

Les villes périphériques telles que Bardaï, Bilma, Kidal et Tombouctou, où des mouvements rebelles se sont historiquement développés, ne sont toujours pas reliées au réseau national par des routes goudronnées.

Ce double rôle des infrastructures de transport, à la fois facilitateur et cible de la violence, place les forces gouvernementales en position de faiblesse. Faute de routes suffisantes et en bon état, les armées régulières peinent à se déplacer efficacement. Elles s’exposent aux embuscades et ne parviennent pas à étendre leur présence militaire sur de vastes territoires.

Plutôt que de construire des infrastructures de transport, les États se sont concentrés sur le renforcement de la sécurité en investissant dans des bases militaires. Les coups d’État militaires au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont encore renforcé cette tendance, avec la création d’une force conjointe par les pays de l’Alliance des États du Sahel.

Le renforcement de la sécurité a pris le pas sur l’aide au développement des communautés périphériques, qui sont les plus touchées par la violence.

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