(© 2018 Afriquinfos)- Lorsque, sur les bancs de la fac de médecine, Isima Sobande avait entendu parler de mères décolorant la peau de leurs bébés, elle avait cru à une légende urbaine. Mais elle ne tarda pas à le voir de ses propres yeux.
Peu de temps après son affectation dans un centre médical de Lagos, capitale économique du Nigeria, un nourrisson de deux mois, se tordant de douleurs, a été admis « avec de très gros furoncles sur tout le corps ».
La jeune médecin découvre alors que sa mère lui appliquait une crème de stéroïdes mélangée à du beurre de karité, une « recette de base » connue de nombreux Nigérians.
« J’étais horrifiée », raconte-t-elle. « Cela m’a vraiment atterrée. »
« Notre société est conditionnée par le fait qu’avoir la peau claire est une manière de trouver un bon travail, d’avoir une relation amoureuse,… et pour beaucoup, c’est très important », poursuit la jeune femme de 27 ans avec une voix douce. « Ca nous ronge de l’intérieur. »
En Afrique, le blanchiment de la peau n’a rien de nouveau. Les experts médicaux mettent en garde contre les risques pour la santé de ces méthodes d’éclaircissements cutané depuis de nombreuses années.
Les chantres de la conscience noire s’indignent depuis bien longtemps contre cet héritage néfaste et ce lavage de cerveau du à des siècles d’esclavage et de colonisation.
Mais paradoxalement, ils ont sans doute plus d’échos et d’influence dans le reste du monde que sur le continent africain et le phénomène ne cesse d’amplifier.
« L’utilisation de produits pour se blanchir la peau est croissante, en particulier chez les adolescents et les jeunes », explique à l’AFP Lester Davids, professeur de biologie humaine à l’Université de Pretoria en Afrique du Sud.
« L’ancienne génération utilisait des crèmes, la nouvelle génération utilise des pilules et des injections », note-t-il.
Des nouveaux modes d’administration encore plus inquiétants: « Nous ne savons même pas ce que ces produits, encore plus concentrés, vont avoir comme conséquence sur le long terme. »
Pilules et injections
Avec une population en pleine expansion et très jeune, le marché africain est en pleine expansion. Deuxième spécificité du continent, le marché est très peu réglementé et n’importe quelle compagnie, artisanale ou multinationale peut y accéder.
« De plus en plus de nos clients (marques cosmétiques, ndlr) veulent avoir des informations sur le marché du blanchiment de la peau », confie Rubab Abdoolla, analyste chez Euromonitor International, cabinet de conseil en consommation.
Rien qu’au Nigeria, géant de quelque 180 millions d’habitants, 77% des femmes – soit plus de 60 millions de personnes – utilisent régulièrement des produits éclaircissant (OMS, 2011).
Si les consommateurs les plus aisés peuvent se permettre d’acheter des produits testés, les autres achètent des crèmes qui contiennent des niveaux dangereux de produits freinant la production de mélanine.
Ceux-ci incluent l’hydroquinone (dérivé du glucide interdit dans les produits cosmétiques dans l’Union européenne), les stéroïdes, et même le plomb, qui a d’ailleurs tué nombre de courtisans de la reine Elizabeth, adeptes en leur temps des poudres blanches et du teint blême.
Les autorités peinent souvent à encadrer les innovations en matière de blanchiment, qui sont de plus en plus souvent prises sous forme d’injections ou de pilules.
L’organisme de surveillance pour les consommateurs américains Food and Drug Administration n’a autorisé aucune de ces injections aux Etats-Unis, arguant que ces produits « sont potentiellement dangereux et pourraient contenir des ingrédients nocifs inconnus ».
Le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya ont totalement interdit ceux à forte concentration d’hydroquinie et de mercure, et l’Etat sud-africain du Kwazulu-Natal a demandé à ses habitants de « rejeter toute forme de la beauté coloniale ».
En juillet, le gouvernement du Ghana a également publié un message préventif pour avertir des dangers que courent les foetus lorsque les femmes enceintes prennent ces traitements, notamment pour que la peau de l’enfant soit plus claire à la naissance.
« Parfois, les clients me ramènent des produits de moins bonne qualité et me supplient de leur inculquer », dit-il. « Ils me disent ‘mais Docteur, je suis prêt à prendre ce risque!’. Nous tentons vraiment de décourager ces pratiques », assure la médecin.
Avec AFP