Armés de fouets et de bâtons, des centaines de « voyous » à moto s’en sont pris ce 17 juin aux participants à une manifestation à Nairobi contre les violences policières, qui voient derrière ces attaques la main du pouvoir kényan.
Les tensions s’accroissent au Kenya alors qu’approche le premier anniversaire des manifestations massives menées l’an dernier dans tout le pays contre un projet de hausse d’impôts et la corruption généralisée, manifs qui avaient été réprimées dans le sang. Plus de 60 personnes avaient alors été tuées, et plus de 80 enlevées par les forces de sécurité pendant et après les protestations, selon des groupes de défense des droits humains.
Dans un tel contexte, et bien que le Gouvernement ait pris soin de ne pas augmenter les taxes directes dans la loi des finances à venir, la récente mort en cellule d’un homme de 31 ans, que la Police avait initialement tenté de camoufler en suicide, a été mal ressentie par une partie de la société.

Si les manifestations contre les brutalités policières, pour leur deuxième journée à Nairobi, ne sont pour l’instant pas massives, elles se sont distinguées ce 17 juin par la présence de « voyous » violents visiblement chargés de disperser la foule, selon le terme employé par médias kényans et manifestants.
« Les voyous nous ont attaqués. Ils nous ont submergés au début », s’est ainsi émue Hanifa Adan, l’une des principales voix des manifestations de 2024. « Ils nous ont coincés et nous ont battus avec des fouets. La Police se contentait de les regarder faire », a-t-elle raconté. « Nous devenons un pays sans loi, » a commenté, dépité, Ndungi Githuku, du groupe de défense des droits civiques Kongamano La Mapinduzi.
– « Prendre l’argent » –
« Nous voyons des centaines de voyous payés, avec des fouets et des armes rudimentaires, venir brutaliser notre peuple, » a-t-il déploré, se disant « choqué de voir les politiciens au Kenya, dirigés par le Président, compter sur des voyous pour parvenir à leurs fins avec des fouets ». Un commentaire régulièrement entendu depuis un an, alors que l’intervention de chauffeurs de boda bodas, ces motos-taxis kényans, a été documentée à plusieurs reprises pour encadrer ou réprimer des événements publics.
En juillet 2024, au plus fort des manifestations anti-gouvernementales, les militants avaient accusé les autorités d’avoir recours à ces éléments violents pour discréditer leur mouvement. En mars 2025, les « voyous » ont vraisemblablement dépassé leurs prérogatives, selon la presse kényane, lorsqu’ils se sont mis à dépouiller scrupuleusement passants et magasins lors d’un déplacement du Chef de l’Etat William Ruto dans Nairobi.
Ces derniers mois, Rigathi Gachagua, ancien vice-Président de M. Ruto, devenu l’un de ses plus grands contempteurs, a affirmé à plusieurs reprises que celui-ci payait des « voyous » contre la jeunesse kényane. Mardi, 17 juin, les commerçants nairobiens ont donc fermé leurs boutiques à la hâte alors que l’AFP a vu des policiers tirer des gaz lacrymogènes dans les foules. Plusieurs motos ont été incendiées, tandis qu’un hélicoptère pouvait être vu survolant le quartier central des affaires.
« Il y a beaucoup de gens sur des boda bodas qui ont infiltré les manifestations pacifiques », a regretté Rashid, lui-même chauffeur de moto-taxi de profession, qui a demandé à ne pas donner son nom complet. L’un des « voyous », tenant un bâton à proximité de policiers, a confirmé anonymement à l’AFP qu’on lui avait promis 1.000 shillings kényans (6,7 euros) contre sa présence ce 17 juin afin de « protéger les commerces », son recrutement ayant été assuré par des « leaders communautaires ».
« Je ne savais pas que cela tournerait comme ça », a-t-il poursuivi, assurant n’être là que pour « prendre l’argent », dans un contexte économique difficile au Kenya… également dénoncé par les manifestants.
© Afriquinfos & Agence France-Presse