Le Président Alassane Ouattara et son nouveau ministre de la Justice, Sansan Kambile devraient renforcer le système judiciaire du pays afin qu’il puisse rendre une justice attendue depuis trop longtemps, selon HRW.
Le rapport de 62 pages, intitulé «La justice rétablit l’équilibre: Vers une lutte crédible contre l’impunité pour les crimes graves commis en Côte d’Ivoire», exhorte le gouvernement ivoirien à tout mettre en œuvre afin que les tribunaux ivoiriens rendent une justice crédible.
Le rapport de Human Rights Watch s’appuie sur plus de 70 entretiens menés auprès de représentants du gouvernement ivoirien, de membres des institutions judiciaires, de représentants d’organisations non gouvernementales, d’experts en justice pénale, de représentants de l’ONU, de diplomates et de représentants des bailleurs de fonds.
«Les victimes des crimes haineux perpétrés durant la crise postélectorale souffrent en silence depuis cinq longues années», a déclaré Param-Preet Singh, juriste senior auprès du programme Justice internationale à Human Rights Watch. «Les procès des principaux criminels des deux camps adresseraient un message clair que les auteurs de graves violations des droits humains ne pourront échapper à la justice», a-t-il précisé.
Cinq mois de conflits post-électoraux faisant 3.000 morts
En décembre 2010, le refus du président sortant Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara, reconnu vainqueur de l’élection présidentielle par la communauté internationale, a été suivi de cinq mois de conflits durant lesquels les forces fidèles aux deux camps ont commis de graves exactions. Des civils ont été sommairement exécutés. Des femmes ont été violées en réunion de façon brutale. Des villages ont été réduits en cendres. Lorsque le conflit a pris fin, plus de 3.000 civils avaient été tués et plus de 150 femmes avaient été violées au cours de la violence perpétrée au nom de facteurs politiques, ethniques et religieux. En juin 2011, le Président Ouattara a créé un groupe de travail de juges et de procureurs – Cellule spéciale d’enquête et d’instruction – visant à promouvoir les efforts pour traduire en justice les auteurs des crimes liés à la violence postélectorale.
En 2015, la cellule a mis en accusation plus de 20 personnes (y compris des membres de haut niveau des forces des deux camps) pour leur rôle dans les violations des droits humains commises pendant la crise postélectorale.
Renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire
Même si les progrès accomplis dans les enquêtes sont encourageants, Human Rights Watch précise que la justice ne sera rendue aux victimes que si les criminels sont jugés lors de procès indépendants, impartiaux et équitables. Sur ce, l’institution recommande au gouvernement de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, de protéger les juges, les avocats et les témoins impliqués dans des affaires sensibles, de soutenir les réformes juridiques qui respecteraient les droits des accusés à un procès équitable.
Le rapport soutient par ailleurs que les accusés non jugés devraient bénéficier d’une liberté provisoire et que le Président Ouattara devrait également affirmer clairement que les grâces présidentielles sont exclues pour les auteurs de crimes graves.
Le camp Gbagbo, seul coupable?
Le cas de la condamnation en mars 2015 de l’ancienne première dame Simone Gbagbo pour crimes contre l’État (et non pour violations des droits humains) commis pendant la crise postélectorale en est une preuve. Elle fait également l’objet d’un mandat d’arrêt émis par la CPI pour avoir fait partie du «cercle rapproché» présumé ayant orchestré des violations massives, mais la Côte d’Ivoire ne l’a pas encore transférée à La Haye, en dépit de son obligation de le faire en tant que pays membre de la Cour.
Or, jusqu’à ce jour, aucun mandat d’arrêt contre des membres des forces pro-Ouattara n’a été émis, même si la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a affirmé en 2015 que les enquêtes de son bureau sur le camp Ouattara ont avancé.
Cependant, la mission de la Cour Pénal internationale est remise en cause. «Le travail de la CPI demeure essentiel, pour garantir que les victimes des deux parties au conflit obtiennent justice et pour renforcer la légitimité de la Cour en Côte d’Ivoire», a déclaré Param-Preet Singh.
Les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire, notamment la France, les États-Unis, l’Union européenne et les Nations Unies devraient apporter le soutien politique, technique et financier nécessaire au renforcement des efforts du pays visant à mettre effectivement un terme à l’impunité pour les crimes les plus graves, selon Human Rights Watch.
VIGNIKPO AKPENE