Centrafrique : Vers une légitimation régionale et internationale des Séléka ?

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Avec ses pairs congolais Denis Sassou Nguesso, équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et gabonais Ali Bongo Ondimba, auxquels se sont aussi joints le Sud-africain Jacob Zuma et le Béninois Thomas Boni Yayi, ex-médiateur de la crise centrafricaine, et des représentants du Cameroun et de la République démocratique du Congo (RDC), le chef de l’Etat tchadien Idriss Deby Itno a publié une déclaration molle sur la condamnation de la prise de pouvoir du 24 mars à Bangui.

Pour Eric Massi, porte-parole et coordonnateur international de la Séléka à Paris en France joint jeudi matin par Xinhua, « c’est normal que la CEEAC, l’Union africaine et la communauté internationale disent le droit en condamnant la prise de pouvoir. On retiendra qu’ils ont fait une proposition constructive (qui) a le mérite d’allier la légalité et la réalité. »

 D’après lui, la proposition d’Idriss Deby Itno et ses hôtes ouvre la voie au processus de validation des nouvelles institutions et permettra à la République centrafricaine (RCA) de reprendre sa place entière au sein de la CEEAC, de l’UA et de la communauté internationale. Dans le texte qui demande à Michel Am Nondokro Djotodia de respecter les accords de paix conclus le 11 janvier à Libreville au Gabon, il a été recommandé la mise en place d’un collège inclusif pour diriger une transition de dix- huit mois, soit jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Cette instance est chargée de désigner un président. Le sommet de N’Djamena a aussi préconisé la création d’un organe constituant doté des prérogatives d’une Assemblée nationale (Parlement). Il n’a pas exigé la remise du pouvoir au président déchu. Au contraire, il plaidé pour que le Bénin accepte de servir d’asile à l’ex-chef d’état-major des Forces armées centrafricaines (FACA) et tombeur de feu Ange-Félix Patassé en 2003, qui a provisoirement trouvé refuge à Yaoundé au Cameroun. Ces assises ont été précédées d’un mini-sommet informel organisé par les mêmes dirigeants, en l’absence d’Ali Bongo Ondimba, en marge du 5e sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) le 27 mars dans une banlieue de Durban, en Afrique du Sud.

« La médiation reste. Elle reste saisie de la question de la RCA, la CEEAC reste saisie de la question de la RCA, l’Union africaine reste saisie de la question de la RCA tant que l’ordre constitutionnel n’est pas revenue », avait déclaré dans un entretien à Xinhua le président tchadien au sortir de cette rencontre.

 Dans le même temps pourtant, deux de ces leaders avaient été surpris en train de reprocher à François Bozizé son refus de faire des concessions pour protéger son pouvoir. « Il est têtu », n’arrêtait pas de marteler l’un d’eux, suggérant à son interlocuteur de lui envoyer le nouvel homme fort de Bangui et ses hommes pour « les travailler ».

Ces propos en disent long sur les soutiens apportés à la Séléka dans sa prise de contrôle de la capitale et des institutions centrafricaines. Une rébellion que, estime le politologue camerounais Firmin Mbala, François Bozizé a poussée à bout de patience en poursuivant dans le dilatoire, alors que « les accords de Libreville lui ont donné un sursis qu’il n’a malheureusement pas su exploiter à bon escient ».

De l’avis de l’universitaire, les résolutions du sommet de N’Djamena laissent penser que l’on se dirige vers la légitimation du pouvoir de Djotodia. « On ne voulait pas non plus accorder un chèque en blanc au nouveau pouvoir d’autant que sa prise de pouvoir s’est faite de manière anticonstitutionnelle ». « Il fallait entériner, explique Mbala, une situation, c’est-à- dire se donner toutes les chances de pacifier et stabiliser la situation sans donner l’impression de cautionner ou d’adouber une prise de pouvoir anticonstitutionnelle et armée », ayant probablement été favorisée par « un ensemble de forces aux confins du Soudan, du Tchad et de la Centrafrique » elle-même. Depuis Yaoundé, François Bozizé s’est fendu d’une déclaration et d’une série d’entretiens à la presse dans lesquels il accuse ouvertement son homologue tchadien d’avoir contribué à sa chute en apportant de l’aide à ses adversaires et de lui avoir refusé la participation au sommet extraordinaire de mercredi.

« Déby était le protecteur de Bozizé et en réalité la chute de Bozizé ne date pas de fin mars. Elle date depuis deux ans, quand Déby a retiré le détachement tchadien qui assurait la protection rapprochée du palais de la Renaissance », analyse Firmin Mbala pour qui, en voulant gagner du temps dans l’application des accords de Libreville, François Bozizé a joué avec le feu. Après la confirmation de la nomination en traînant les pieds de l’opposant Nicolas Tiangaye au poste de Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale dont il a de plus doublé les postes, « il y a un ensemble de mesures qui sont venues à bout de la patience de la Séléka : le retrait des forces étrangères dont ses soutiens sud-africains qui n’a pas été fait, la libération in extrémis des prisonniers politiques, également prévue dans les accords de Libreville », juge le politologue.

 En maintenant Tiangaye à la tête d’un nouveau gouvernement formé une semaine seulement après son putsch, Djotodia s’est garanti une démarche positive pour se faire accepter de cette communauté régionale et internationale qui, officiellement, déclare lui fermer ses portes. Il a certainement à l’esprit le cas d’Andry Rajoelina qui depuis 2008 continue de souffler le chaud et le froid à Madagascar.