Le Cameroun, qui depuis son accession à l'indépendance en 1960 a bâti sa politique de développement sur la production agricole, est réputé d'être le grenier et la plus grande économie de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC, composée en outre de la Centrafrique, du Congo, du Gabon, de la Guinée équatoriale et du Tchad). L'essor de l'agriculture y représente un immense marché pour la commercialisation des produits phytosanitaires.
Ce commerce représentait en 2011 à l'import un chiffre estimatif de 25 milliards de francs CFA (50 millions USD), qui vaut en même temps la moyenne des cinq dernières années, de l'avis de Christian Fosso, cadre dans l'entreprise Fimex et responsable au sein de la section camerounaise de l'association internationale CropLife.
"Il faudrait ajouter 15% de douane et d'autres frais locaux pour avoir un chiffre qui va autour 30 milliards et maintenant mettre la marge pour avoir un chiffre d'affaires", a expliqué-t-il à Xinhua lors d'une campagne de sensibilisation jeudi à Yaoundé, sans pouvoir fournir un chiffre plus précis, tant l'opacité est de mise parmi les entreprises de la filière qui "vendent en faisant chacune des marges qu'elles veulent", renseigne du reste Fosso.
C'est le phénomène de fraude et de contrefaçon des produits commercialisés qui est surtout mis en exergue, décrit comme "un serpent de mer" et reconnu y compris par les pouvoirs publics camerounais mêmes, mais encore une fois sans pouvoir en déterminer le degré d'ampleur par des indications précises.
Le sous-directeur de la réglementation du ministère de l'Agriculture et du développement rural (MINADER), Marcel Bakak, en évalue un lourd impact économique en usant de simples exemples. "Si vous avez votre cacao par exemple, dit-il, vous dépensez au niveau du paysan environ 100.000 francs (200 USD) pour l'achat des produits et parmi tous ces produits, il n'y en a que pour 20.000 francs (40 USD) de bonne qualité".
"Donc, vous avez perdu déjà 80.000 francs de votre produit au niveau de votre poche. Et maintenant, au niveau de votre production dans votre champ, vous n'aurez pu protéger qu'un dixième de votre champ, alors que vous croyiez l'avoir fait à 100%. Imaginez une zone comme la zone du Sud-Ouest qui est la première zone de production du cacao et qui est malheureusement la zone aussi où il y a le plus de produits de mauvaise qualité", poursuit- il.
Prudent, Christian Fosso se limite à son tour à relever que "la fraude et la contrefaçon sont des choses invisibles, nous essayons seulement aujourd'hui de mesurer l'ampleur. On pourrait estimer à peu près à 25-30% du chiffre d'affaires de la profession, j'allais dire 4-5 milliards de francs CFA au gros doigt".
Mis ensemble, les deux fléaux sont cités comme un des facteurs principaux de la faiblesse de la production agricole au Cameroun.
"On s'est rendu compte que les utilisateurs finaux se plaignaient de plus en plus de l'efficacité insuffisante des produits en champs et des résultats médiocres", souligne Fosso.
Pour Célestin Ayangma, distributeur, les coupables ne sont pourtant à chercher ailleurs. Sur le banc des accusés, sont désignés eux-mêmes des importateurs locaux, des responsables du ministère de l'Agriculture et du Développement rural et des distributeurs.
"Si j'indexe les importateurs locaux, les responsables du MINADER et les distributeurs, c'est parce que je suis un homme de terrain. En 2010, j'ai lancé une campagne de lutte contre le commerce illicite dans le secteur des intrants agricoles. Sur le terrain, nous avons trouvé, je vous assure, des choses qui sont inexplicables", informe Ayangma.
Cette accusation est rejetée par Christian Fosso qui juge impensable que les importateurs puissent sciemment se lancer dans cette pratique. "Ce serait couper la branche sur laquelle on est assis. Je pense qu'il y a dû y avoir dans certains cas des actions indirectes qui sont retrouvées dans la contrefaçon".
"Ce n'est pas le petit revendeur du marché du Mfoundi, insiste- t-il, qui peut avoir la possibilité ou la capacité financière de faire la contrefaçon. Mais c'est des réseaux parallèles des importateurs qui animent la contrefaçon au Cameroun, avec la complicité des responsables du MINADER. Généralement, c'est des représentants locaux des fabricants que sont les sociétés européennes, qui cherchent à se faire plus de bénéfices", persiste Ayangma.
Pour Fosso en revanche, le problème est celui du manque de répression. "Il y a une réelle impunité. Quand on dit qu'il n'y a pas d'inspecteurs assermentés pour attraper les faussaires, pour saisir les produits, c'est un problème grave".
Le Cameroun est pourtant doté depuis 2003 d'une loi sur les principes et règles régissant l'activité phytosanitaire. D'après les opérateurs de la filière, son application ne se fait pas ressentir.
"Chaquefois qu'on interpelle les pouvoirs publics, ils disent qu'ils n'ont pas de moyens. Nous, nous ne pouvons que dénoncer, nous n'avons pas qualité pour saisir des faux produits", assène encore Célestin Ayangma.
Selon le sous-directeur de la réglementation, en collaboration avec le ministère du Commerce, le MINADER essaie de "faire en sorte que le phénomène soit quelque peu diminué, mais il faut le dire, pour cela nous avons besoin, et des médias, et des opérateurs économiques, et du producteur et puis en dernier ressort nous avons le cadre règlementaire, que nous puissions le mettre. C'est un phénomène qui demande la participation de tous, chacun à son niveau".