Ashley Okoli, icône de la communauté LGBT+ au Nigeria où l’homosexualité est vomie par les lois en vigueur

Afriquinfos Editeur
6 Min de Lecture
Ashley Okoli (c) participe à un bal queer, à Lagos, au Nigeria, le 9 juin 2024.

Body-bustier en cuir noir, talons aiguilles et frange violine au-dessus d’yeux abondamment cerclés de khôl, Ashley Okoli arpente avec assurance la scène d’un bal queer de Lagos, bouillonnante capitale économique et culturelle du Nigeria.

Lola, femme transgenre nigériane, au cours d’un ball queer, à Lagos, le 9 juin 2024.

A 26 ans, elle est l’icône d’une communauté LGBT+ contrainte à la discrétion du fait de la dureté des lois contre l’homosexualité au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 220 millions d’habitants). Ce soir-là, elle officie comme membre d’un jury devant départager les participants d’un bal organisé en la mémoire de la militante Fola Francis, première femme transgenre à avoir défilé à la ‘Lagos Fashion Week’ et morte accidentellement en décembre 2024, peu avant ses 30 ans.

« Monter sur scène n’est pas facile, cela demande beaucoup de courage et de confiance en soi, c’est pourquoi je ne mets jamais une note en dessous de 5 », explique l’artiste qui assume son homosexualité et ne s’est jamais reconnue dans l’éducation qu’elle a reçue, où on lui a appris à « être une épouse, cuisiner et nettoyer ». Au Nigeria, l’homosexualité est passible de 10 à 14 ans de prison selon une loi adoptée en 2014, dans un pays très religieux divisé entre un Nord majoritairement musulman (où la loi islamique est appliquée parallèlement au système judiciaire), et un Sud (à majorité chrétienne où l’Eglise garde une influence considérable).

Dans les faits, cette loi est rarement appliquée mais elle a légitimé les intimidations et violences généralisées vis-à-vis de la communauté LGBT+. « Beaucoup de personnes queer n’ont pas de domicile, il est souvent difficile de trouver des moyens de gagner sa vie », rappelle Aaron, 27 ans. « Les Nigérians sont très résilients, nous trouvons des espaces d’expression partout », confie Uche, 30 ans, fine moustache, longues tresses et combinaison à paillettes. Il est venu interpréter sur scène « O Fly On » de Coldplay pour rendre hommage à Fola Francis qu’il a eu « le privilège » de fréquenter « avant et après sa transition ».

– « Un endroit sûr » –

Le bal de ce samedi soir, abrité dans un hangar d’un quartier périphérique de la ville aux 20 millions d’habitants, marque le début du « mois des fiertés » célébrant chaque année en juin la défense des droits des personnes LGBT+ dans le monde. Sur scène, les participants enchaînent les poses et les figures, arborant des costumes empruntant au style « néo-goth » -le thème du bal- mâtinés des apparats festifs traditionnels de la communauté queer – perruques, paillettes et maquillage exubérant. Le public est galvanisé par la succession de tubes des stars nigérianes de l’afrobeats, comme Ayra Starr, et des incontournables Beyoncé, Kylie Minogue ou encore RuPaul, « drag queen la plus célèbre du monde » qui anime sa propre émission de téléréalité depuis quinze ans.

Parmi les catégories en compétition, le « voguing », cette danse qui fait tournoyer les mains et les bras autour du visage née dans les années 1970 aux Etats-Unis dans les clubs queer afro-américains et latinos et popularisée par Madonna avec son titre « Vogue ». Bien que la culture de ces bals existe depuis une vingtaine d’années au Nigeria, elle n’est pas encore structurée comme dans d’autres pays où les « maisons » composées d’une « mère », d’un « père » et d' »enfants » s’affrontent sur scène.

Le jury note les prestations et costumes de participants à un bal queer, à Lagos, le 9 juin 2024.

« La culture du +ballroom+ n’existe pas à proprement parler ici, mais nous essayons de la construire car cela va au-delà du divertissement, cela veut aussi dire prendre soin des autres et accompagner les jeunes », commente le photographe Daniel Obasi, membre du jury. L’ambiance est à la bienveillance. C’est ce que viennent chercher les fêtards queer de Lagos, un « endroit sûr » où ils peuvent « dire leur propre vérité », explique Kim, femme transgenre de 27 ans qui affirme n’être « vraiment elle-même » que parmi ses pairs.

« Lagos permet de s’habiller comme on veut, d’être créatif », confie la jeune femme aux cheveux courts et en robe noire moulante, qui s’est installée dans la mégapole il y a seulement six mois, après avoir subi « des violences physiques et du harcèlement » dans sa ville du centre du pays où elle n’a pas pu terminer ses études. Ayo Lawson, 30 ans, co-organisatrice de l’événement, veut donner l’opportunité aux gens « d’être les plus outranciers, les plus flamboyants » possible dans un espace où ils se sentent « sûrs et célébrés ».

« Les gens sous-estiment le privilège que c’est de pouvoir tenir la main de sa petite copine et de l’embrasser dans les lieux publics », constate celle qui se revendique lesbienne et veut multiplier les événements de ce type pour « ne plus se cacher et assumer d’être ouvertement queer et fier ».

Le jury note les prestations et costumes de participants à un bal queer, à Lagos, le 9 juin 2024.

© Afriquinfos & Agence France-Presse