Le Président tunisien, Kais Saied, a congédié son Premier ministre vendredi 21 mars 2025 à l’aube, moins de huit mois après l’avoir nommé, procédant à son quatrième limogeage d’un Chef de gouvernement depuis son coup de force il y a quatre ans.
Pour remplacer Kamel Madouri, le Président a choisi la ministre de l’Equipement, Sarra Zaafrani Zenzri, une ingénieure en génie civil, au moment où le pays traverse de graves difficultés socio-économiques et est critiqué par l’ONU pour l’emprisonnement d’un grand nombre d’opposants. Aucune explication n’a été fournie à l’éviction de M. Madouri, annoncée par un communiqué laconique de la Présidence.

M. Saied, qui avait laissé récemment transparaître son mécontentement, a demandé à Mme Zaafrani de mieux coordonner « le travail gouvernemental et de surmonter les obstacles pour réaliser les attentes du peuple tunisien« . « Il est temps que tout dirigeant soit entièrement tenu pour responsable, quel que soit son poste« , a-t-il lancé, entouré de ministres et responsables sécuritaires, dans une vidéo publiée juste avant l’annonce du limogeage.
– « Thèses conspirationnistes » –
Il a par ailleurs jugé suspects une vague récente de mouvements sociaux et de suicides par immolation. « Tout cela a coïncidé avec le début du procès dans l’affaire du complot contre la sûreté de l’Etat. Pas besoin d’en dire plus« , a-t-il dit. Des dizaines de personnes comprenant des figures de l’opposition en Tunisie sont jugées dans ce procès qui a débuté le 4 mars 2025, dénoncé comme « politique » par les défenseurs des droits de l’Homme. Pour l’analyste Hatem Nafti, « la politique du Président Saied repose sur le duo +théorie du complot – bouc-émissaire+« , car il est « incapable d’améliorer la situation socio-économique. Il multiplie les thèses conspirationnistes pour justifier ses échecs« , selon lui.

Depuis le coup de force de M. Saied le 25 juillet 2021, que ses opposants qualifient de « coup d’Etat« , ONG tunisiennes et étrangères déplorent une régression des droits et libertés dans le berceau du Printemps arabe. Kais Saied avait alors limogé son Premier ministre et gelé le Parlement puis révisé la Constitution pour réinstaurer un régime ultra-présidentiel où il concentre les pouvoirs. En août 2024, il avait procédé à un vaste remaniement du Gouvernement, nommant à sa tête M. Madouri, un spécialiste des affaires sociales. Il avait aussi changé 19 ministres, avançant des impératifs de « sûreté nationale« .
Début février 2025, il a sèchement renvoyé sa ministre des Finances, la remplaçant par une magistrate. Aux yeux d’Isabelle Werenfels, chercheuse spécialiste du Maghreb, ces limogeages incessants posent « problème pour la coopération avec les pays étrangers en minant la continuité de l’action gouvernementale« . Les changements de Chefs de Gouvernement dénotent aussi, dit-elle, « un manque de confiance entre le Président et ses Premiers ministres, qui n’envoie pas un message positif ni aux Tunisiens ni aux partenaires étrangers ».
En choisissant systématiquement comme Premier ministre « un haut fonctionnaire apolitique et sans relief sur une courte période« , M. Saied se distingue, selon le politologue Hamadi Redissi, de l’autocrate Ben Ali qui préférait avoir à ses côtés « un économiste chevronné ou un grand commis d’Etat, jouant les seconds rôles, pour une longue période, la stabilité étant le gage du progrès économique« .
– Crise économique –
Mme Zaafrani, 62 ans, devient la deuxième femme à diriger le Gouvernement en Tunisie après Najla Bouden, Première ministre d’octobre 2021 à août 2023. Mme Bouden avait été limogée après des pénuries et remplacée par un ancien cadre de la Banque centrale, Ahmed Hachani, lui-même substitué l’été dernier. Jusqu’à sa nomination comme ministre de l’Equipement en 2021, Mme Zaafrani a dirigé, au sein du même ministère, la division des projets d’autoroutes.
M. Saied a été réélu le 6 octobre 2024 à une écrasante majorité des voix (plus de 90%) dans un scrutin marqué par une très faible participation (moins de 30%). La Tunisie traverse une profonde crise socio-économique, avec une croissance poussive de 1,4% en 2024, un taux de chômage de 16% et une dette équivalent à environ 80% de son PIB (Produit intérieur brut). M. Saied a rompu à l’été 2023 des négociations entamées avec le FMI (Fonds monétaire international) qui avait proposé un prêt de 2 milliards de dollars en échange d’une série de réformes.
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