Depuis dix ans, vous n’avez pas sorti le moindre disque. Que faisiez-vous ?
Je vous annonce la sortie de mon deuxième album cette année. Mon précédent, «Lumière», est certes sorti en 2002, mais c’était le résultat de cinq années de travail, de recherches, d’inspirations musicales et spirituelles. J’ai maintenant atteint un niveau de maturité tel que je peux sortir un album tous les trois mois, un peu comme groupe Buju Banton, en Jamaïque.
Le problème, c’est qu’en Côte d’Ivoire, il y a une gestion artisanale des carrières et les artistes tournent généralement sur fonds propres. Le succès en Afrique est, avant tout, médiatique. Or qui dit médias, dit argent. Pour être tous les trimestres sur le marché des disques, il faut de gros moyens financiers, ce qui n’est pas mon cas. J’avais du mal à promouvoir mes œuvres. Dans les années 2000, il fallait débourser jusqu’à 800 000 F CFA pour un mois de promo à la RTI (Radio Télévision Ivoirienne). Ce chiffre est heureusement tombé, quelques années après, à 250 000 F CFA. Pour nous, qui n’avons pas de producteur en tant que tel, cette situation est difficile à gérer. Tout cela explique mon long silence. Cela dit, j’ai continué à jouer en live dans des espaces typiquement reggae, à Abidjan.
Est-ce que vous avez un bilan chiffré des ventes de votre premier album ?
Malheureusement je n’ai pas de chiffres. L’album ne s’est pas écoulé comme je l’aurais souhaité. Le travail a été très bien apprécié des mélomanes, mais la distribution n’a pas suivie. Mon staff a donc décidé de le remastériser en France et de le mettre de nouveau sur le marché. C’est donc aujourd’hui que beaucoup de gens découvrent « Lumière ». Financièrement, cette opération cela me permet de préparer sereinement mon deuxième album, puisque – j’insiste là-dessus -, je fonctionne toujours sur fonds propres.
C’est assez curieux d’entendre Ras Goody Brown, artiste talentueux révélé en 1997 par le groupe Negromuffin, dire qu’il n’a pas de producteur. Choix délibéré ?
Negromuffin a été un vrai succès en Côte d’Ivoire et, au-delà, dans le reste de l’Afrique. Mais à partir de 2002, les producteurs ont abandonné les artistes reggae pour donner la priorité à d’autres genres musicaux, comme le Coupé-décalé. A preuve, mon premier album solo a été produit par «Conquering Lion», une maison de production rasta. EMI Jat Music, qui avait produit Negromuffin, nous avait dupés sur les chiffres de vente. Après cette mésaventure, on n’est pas prêts à sortir un nouveau disque avec eux. Alpha Blondy distribution, avec qui on pouvait travailler, ne voulait pas non plus nous faire une avance sur les royalties…
Le Coupé-décalé a donc eu un impact négatif sur l’évolution du reggae, non seulement auprès des producteurs, mais aussi des mélomanes ?
Je ne le pense pas. Le reggae est apprécié de tous les mélomanes. Qu’ils écoutent le coupé-décalé ou un autre genre musical, les vrais mélomanes se retrouvent toujours autour du reggae.
N’est-ce pas aussi dû au fait que les artistes reggae, hormis Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoli, ont baissé les bras face à la vague du coupé-décalé ?
Pas du tout ! Aucun des artistes reggae que je connais n’a raccroché. C’est vrai que les albums et les grands concerts de reggae sont devenus rares, mais tout le monde est là. On continue de se produire en live dans les espaces dédiés à notre musique.
Par exemple, chaque année, le 11 mai, nous organisons des concerts géants pour commémorer la mort de Bob Marley. Et croyez-moi, il y a chaque fois du monde au village rasta ! C’est comme si les gens venaient voir le pape. Cela prouve que les artistes reggae d’ici sont encore vraiment appréciés. Aujourd’hui, on a une émission spéciale reggae à la télévision, qui est animée par (le chanteur) Kajeem. C’est bien la preuve que le reggae est bien apprécié.
Au sujet de votre album en préparation, peut-on avoir quelques confidences sur le nombre de titres et les thèmes que vous abordez ?
Ce sera un album – disons – neutre. Ce qui veut dire que dans les chansons, vous n’entendrez pas des mots comme «Jah» ou «Rastafari». J’estime que les mélomanes savent déjà que je suis rasta, donc je n’ai plus besoin d’insister sur ce point. Je chanterai l’amour, rien que l’amour. Qu’on soit bouddhiste, musulman ou chrétien, personne ne peut rester indifférent lorsqu’on parle de l’amour. Je ne peux pas pour l’instant donner le nombre de titres, parce que je continue de travailler sur certains morceaux. Mais ce sera balaise, parce qu’on est conscient que l’attente a été grande du côté des mélomanes.