JIF 2022: Curieuses manifestations pour et contre l’excision à Freetown !

Afriquinfos Editeur
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Freetown (© 2022 Afriquinfos)- Coup dur à la célébration de la Journée internationale des droits des  femmes en Sierra Léone ? Alors que le monde entier se penchait une énième fois sur la cause des droits des femmes ce 8 mars 2022, des dizaines de femmes et quelques hommes vêtus de blanc manifestaient à Freetown pour réclamer l’interdiction de l’excision, ou au contraire la défendre, dans un pays où cette pratique est très répandue.

«Nous célébrons la Journée internationale des droits des femmes avec une marche pacifique pour mettre fin à l’excision en Sierra Leone», a déclaré l’organisatrice de la manifestation contre les excisions, Mildred Davies.

Parallèlement, une manifestation distincte s’est tenue dans les rues de la capitale pour défendre l’excision sous le slogan: «Le Bondo (ndlr: société secrète pratiquant des rituels traditionnels, dont l’excision) est notre culture et l’excision est inoffensive pour les femmes.» «Nous, les femmes, nous manifestons pour soutenir l’excision en Sierra Leone, car cela fait partie de notre culture et de nos traditions», a dit Mabinty Kamara, une femme qui la pratique.

83% des femmes concernées

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Le gouvernement de la Sierra Leone a interdit l’excision en 2020, pour limiter les pratiques controversées des sociétés secrètes dans le cadre de la lutte contre la pandémie de coronavirus dans le pays. Mais aucune législation n’interdit formellement la pratique dans le pays.

La Sierra Leone est un des pays où l’excision se pratique le plus. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, en 2019 83% des femmes âgées de 15 à 49 ans ont subi une excision.

Un changement de statut social au prix de cicatrices

En Sierra Leone, pays pauvre d’Afrique de l’Ouest, les rites d’initiation sont pratiqués par les sociétés secrètes,

Destinée aux filles -parfois très jeunes-, l’initiation inclut l’apprentissage de danses, de chants, l’application de peintures traditionnelles sur le corps et le visage, la confrontation avec des esprits, représentés par des masques effrayants, mais aussi des mutilations génitales. « Nous fournissons de l’argent, de la nourriture et des robes neuves pour l’initiation », explique la tante de Musu, Ya Marie, une enfant de 8 ans livrée à la pratique.

Les jeunes filles reviennent de la forêt vêtues de leurs plus beaux atours. Elles portent de nouveaux noms, qui attestent de leur passage à l’âge adulte et de leur rang dans la hiérarchie de la société secrète. « Nous ne faisons pas que les exciser, nous leur apprenons également à être une femme, à cuisiner, à respecter les anciens. Après l’initiation, elles retournent dans leur communauté pour poursuivre leur éducation jusqu’à leur mariage », explique Yambundu Oile. En une cinquantaine d’années, cette femme a initié des milliers de petites filles et de jeunes filles.

En juillet 2014, une trentaine d’entre elles, âgées de 4 à 16 ans, ont rejoint la société Bondo dans le village de Kombrabai (nord).

De leur côté, les garçons effectuent des retraites pouvant durer plusieurs mois pour rejoindre la société masculine Poro. Ils y sont notamment « avalés » par un esprit, qui leur laisse la « marque de ses dents » dans le dos.

Les sociétés secrètes, aussi bien féminines que masculines, « jouent toujours un rôle prépondérant dans la vie sociale, religieuse et politique » de chaque communauté, explique le professeur Joe Alie, du département d’études africaines à l’Université de Sierra Leone. Plus de 90% de la population est concernée par ces rites ancestraux et secrets, selon lui.

Les sociétés Odelay et Ojeh, représentées parmi les principaux groupes ethniques du pays, permettent la promotion sociale et politique de leurs membres. Le parti de l’ex-président Ernest Bai Koroma (2007-2018) favorisait notoirement la société Ojeh, lorsqu’il était au pouvoir.

Ces sociétés secrètes sont également très influentes dans les pays voisins : au Liberia, en Guinée, dans le nord de la Côte d’Ivoire et dans le sud du Mali. En Sierra Leone, des décès et des violences enregistrées depuis la fin de l’année 2018 (initiations forcées, enlèvements) ont conduit le gouvernement à limiter les activités des sociétés secrètes.

V.A.