Abdoulaye Bathily lègue à la postérité son autobiographie qui ratisse très large

Afriquinfos Editeur
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Dakar (© 2022 Afriquinfos)- L’homme politique sénégalais Abdoulaye Bathily vient de publier une autobiographie dénommée  «Passion de liberté» aux éditions ‘Présence africaine’. Dans l’œuvre, le leader marxiste de la Ligue démocratique raconte ses cinquante années de lutte et révèle notamment les coulisses de la victoire d’Abdoulaye Wade à la présidentielle de l’an 2000.

Dans ce livre, l’historien et ancien ministre d’État Abdoulaye Bathily évoque l’alternance démocratique du 19 mars 2000. Un événement  politique qu’il décrit comme plus important que l’indépendance du 4 avril 1960.

Dirigeant marxiste, Abdoulaye Bathily crée à Dakar la Ligue démocratique en 1975. Arrive la présidentielle de mars 2000, le socialiste Abdou Diouf est au pouvoir depuis près de 20 ans, mais quelques mois plus tôt, avec Amath Dansoko et Landing Savané, ses partenaires du pôle de gauche, ils vont voir Abdoulaye Wade à Paris pour tenter de le convaincre de se présenter, sans que ce dernier n’y croit pas trop. « Oui, il n’y croyait pas à l’époque parce que, pendant vingt ans, nous avons lutté ensemble avec Abdoulaye Wade pour la démocratie, les réformes du code électoral », révèle A. Bathily dans un entretien sur RFI.

Et de poursuivre : « Ça a été un combat très rude, donc nous avons estimé qu’il fallait l’unité des forces politiques du pays pour arriver à déboulonner un pouvoir vieux de 40 ans. Nous voulions le faire de manière pacifique, sans verser de sang, nous pensions que le travail en profondeur que nous avions mené dans le pays avait amené un processus de maturation des consciences et une capacité des citoyens à aller affronter le pouvoir en place dans les urnes. Quand nous sommes allés chercher Abdoulaye Wade, il n’y croyait pas, mais par la suite, il a été convaincu de nos arguments, il nous a suivi et nous sommes venus à bout du régime du parti socialiste, et ça a été, je crois, la première alternance politique pacifique dans cet espace de l’Afrique de l’Ouest».

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 D’après l’auteur de «Passion de liberté», cette victoire de l’alternance en l’an 2000 est un évènement politique encore plus important que l’indépendance de 1960 parce qu’affirme-t-il,  «l’indépendance, c’était dans le cadre de transferts de compétences entre le régime colonial et le parti au pouvoir de Léopold Sédar Senghor, il n’y a pas eu en réalité à cette époque-là de libération triomphante, mais l’acte de l’alternance du 19 mars 2000 a été un acte conscient par le bulletin de vote».

En septembre 1999, il réussit à convaincre Abdoulaye Wade de repartir en campagne pour mars 2000, alors que celui-ci était sans sous. Finalement Wade  rentre au Sénégal et il se produit la scène-ci.  Wade téléphone à son fils qui est trader à Londres : « Allo Karim, quoi de neuf à Londres ? Est-ce que tu as pu trouver quelque chose ? Ici, nous sommes fatigués, nous n’avons plus rien, je ne suis même pas sûr d’avoir assez de carburant pour arriver à Ziguinchor », et Karim de répondre : « Papa, c’est difficile ici aussi, je fais tout, mais jusqu’ici, je n’ai rien», raconte Bathily dans son oeuvre.

Selon l’homme politique, «Oui, c’est pour montrer que, quand le peuple est mobilisé, conscient de son devoir et organisé, il peut arriver à la victoire, c’est ce qui s’est passé en 2000, personne ne donnait un sou pour une victoire d’Abdoulaye Wade, malgré tout, il a gagné, simplement parce qu’il y a eu une mobilisation populaire extraordinaire. J’étais là, avec lui, avec d’autres leadeurs, nous avons mobilisé le pays de fond en comble».

Et puis arrive donc la victoire au soir du 19 mars 2000, sans être sûr que les socialistes d’Abdou Diouf vont accepter leur défaite,  Bathily et Amath Dansoko vont au domicile d’Abdoulaye Wade, ils tiennent  un meeting commun pour mobiliser tous les partisans. «Je pris la main d’Amath Dansoko, elle frissonnait, je levais la tête pour le regarder et je vis couler sur ce visage viril une larme, une seule, mais grosse, claire comme son cœurl’émotion était au rendez-vous » au point où l’auteur  reconnait avoir lui aussi pleuré mais  «peut-être pas de manière visible, physique, mais nous étions tous dans l’émotion et le meeting que nous avons improvisé dans la nuit et qui a rassemblé des centaines de milliers de citoyens était vécu comme une délivrance», raconte-t-il.

Alors viennent les premières années de Wade au pouvoir, tout se passe bien, Abdoulaye Bathily  occupe le poste de ministre de l’Energie, mais à partir de 2002 les choses se dégradent entre les deux hommes. Lors d’une de leurs dernières disputes avant la rupture, Bathily dit à Wade  tout ce qu’il pense de son régime et à Wade de lui répondre : «Toi Abdoulaye, tu n’es qu’un intellectuel».

Mais Abdoulaye Bathily serait réellement ‘’trop intellectuel’’ pour comprendre les réalités du pays ? «Les réalités du pays, ce n’est pas la poursuite de la politique contre laquelle des millions de Sénégalais se sont élevés et ont voté consciemment. Nous sommes venus à l’opposition avant Abdoulaye Wade, il faut le rappeler, Abdoulaye Wade n’est venu à l’opposition qu’en 1974, nous, nous y étions deux décennies avant lui. D’autres combattants ont été dans les tranchées bien avant lui, donc il a été simplement un bénéficiaire de ce capital de lutte qui a été engagé par les Cheikh Anta Diop, par les Abdoulaye Ly, par les Mamadou Dia, qui n’étaient pas moins intellectuels, donc nous étions les interprètes de la réalité du pays, et nous nous sommes engagés. Moi, j’ai fait sept fois la prison et ce n’est pas pour des activités intellectuelles, c’est pour la liberté. D’autres camarades sont morts. Tous ces sacrifices consentis, c’était pour un idéal qui n’était pas simplement ‘’intellectuel’’», répond l’Universitaire.

Âgé de 75 ans,  Abdoulaye Bathily est un historien, universitaire et homme politique sénégalais, plusieurs fois député et ministre sous les présidences d’Abdou Diouf et Macky Sall. Il a été le chef de file de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) pendant 29 ans.

V. A.