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Par centaines, ces églises créées en qualité d'associations culturelles sur la base d'une autorisation du ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation, en application d'une loi de décembre 1990 relative à la liberté d'association, inondent jusqu'à la capitale camerounaise, Yaoundé, où François Bingono Bingono, anthropologue expert en communication traditionnelle africaine, recense « 186 nouvelles dénominations ». Avec à leur tête des « prophètes » autoproclamés se déclarant « illuminés » et investis d'une mission de délivrance du peuple de ses péchés, de ses persécutions, possessions et autres envoûtements mystiques, ces « assemblées de Dieu » promettent à leurs adeptes monts et merveilles, voire la lune pour des solutions à pratiquement tout type de problème : emploi, mariage, études, santé, ressources financières. Ces « illuminés » ne se limitent point à leurs chapelles qui poussent comme des champignons, parfois à l'intérieur même des domiciles familiaux.
Terrains de football à l'instar du mythique stade Omnisports Ahmadou Ahidjo, de nom du défunt et premier président camerounais, et autres infrastructures telles le Palais polyvalent des sports de Warda se transforment de temps en temps en lieux de prédication de la « bonne parole » et de distribution de « grâces divines » à profusion. Autant, le regard est frappé de les voir côtoyer, avec des messages aguichants, un de ces panneaux postélectoraux où, sur une large avenue en plein centre-ville et devant un supermarché ayant pignon sur rue, ou encore sur la place du monument de la Réunification à proximité du palais de l'Assemblée nationale ( Parlement), le chef de l'Etat Paul Biya dit « merci au peuple qui (l') a choisi » lors de l'élection présidentielle tenue le 9 octobre au Cameroun.
Autour d'eux, ils arrivent à attirer des foules de personnes qui, séduites par leurs psalmodies enchanteresses, les célèbrent comme leurs « sauveurs ». Des démunis voire indigents aux citoyens aux aisés de la sphère politico-administrative, aucune couche sociale n'échappe à cette déferlante et généralement, ces ouailles ne font pas place nette à la réflexion pour questionner les fondements et les pratiques réels des fameux univers de croyances en essor. Pour Bingono Bingono, cette ruée associée à une adhésion massive et aveugle s'expliquent par le fait qu'« il y a beaucoup de prestations dans ces religions de l'importation qui sont similaires aux pratiques de sacralité africaines : les rites de purification, les rites de bénédiction, les rites d'exorcisation, autant de rites pratiquement qui épousent le même cheminement que ce que l'Africain faisait dans ses religions patrimoniales ».
Un flash-back dans l'histoire instruit que, de l'avis du chercheur, « l'Africain ne priait jamais Dieu, parce que le Négro- africain estime que Dieu est le symbole de la pureté, c'est la perfection, la puissance infinie ; là où justement l'homme est le symbole de la souillure, de la saleté. Dans la civilisation africaine, on estimait que c'est un fait de mésalliance que l'infiniment sale s'adresse directement à l'infiniment pur ». En conséquence, « dans les religions africaines, l'Africain déposait ses prières dans le sanctuaire de la relique de ses ancêtres. La mort est considérée dans ce contexte de civilisations comme étant purificatrice. Celui qui a mené une vie de juste et mort juste est purifié par la mort. Lui seul donc est en posture de pouvoir s'adresser directement à Dieu ».
Ce sont des religions, précise en outre l'anthropologue, qui s'accompagnaient de réalisations palpables. « La religion arrivait par la voie onirique. Quand on s'était adressé aux ancêtres, c'est- à-dire à Dieu à travers donc l'intercession ancestrale, il y avait des gens qui faisaient des songes pour avoir une réponse concrète par rapport à la demande que l'on avait faite ». Signe d'une désaffection vis-à-vis des nouvelles croyances emmenées par les missionnaires européens à l'époque coloniale, à savoir notamment l'Eglise catholique et l'Eglise protestante, jugées coupables d'un échec dans la réalisation des mêmes solutions concrètes pour leurs fidèles, l'émergence des religiosités actuelles traduit un malaise profond qui affecte la société camerounaise, soutiennent les chercheurs. Historien chercheur dans un organisme de recherche privé (la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale à Yaoundé), Joseph Owona Nstama rappelle dans une autre analyse que « le Cameroun a traversé une crise économique de près d'une trentaine d'années et un ajustement structurel qui a détruit totalement notre étau social. Aujourd'hui, il faut tout reconstruire et l'une des manières de reconstruire, c'est de se déporter vers ceux qui vous apportent cette parole, dit-on divine, dit-on sacrée pour apaiser et régler vos maux ».
Mais, poursuit-il, « la simple misère ne peut pas justifier ce phénomène, car, la socio-texture des gens qui participent à ces grands rassemblements, ce n'est pas toujours des gens qui sont dans l'indigence. On voit des gens qui garent des grosses cylindrées, qui vont avec leurs petits bidons d'eau pour aller recueillir de l'eau qu'on va bénir, qui sera sacrée, etc. Et ceux qui contribuent le plus, ce n'est pas toujours les plus pauvres. Ces sont des gens qui font des chèques en termes d'aumône ».
A son tour, l'historien analyse la désaffection dans le mouvement catholique latin en particulier et l'émergence de toutes ces églises en convoquant « des phénomènes paranormaux qui laissent les gens perplexes ». « Vous avez, note-t-il, des effigies de la Vierge Marie qui pleurent de manière continue. Ça s'est passé à Obala il y a des années, on l'a vu à la télé. A l'époque, Mgr. Owono Mimboé n'a pas pu rassurer les personnes qui lui demandaient comment est-ce qu'on pouvait comprendre ce phénomène ».
A y regarder de près cependant les pratiques des Eglises réveillées, certaines d'entre elles sont assimilées à des forces ésotériques, où des scènes à la limite de la pornographie et du cannibalisme sont dénoncées. « Le politique est pris à son propre piège. Le Cameroun est un Etat laïc. Du coup, ça devient beaucoup plus compliqué. C'est vrai que l'Etat a le pouvoir coercitif et tous les moyens que l'on peut imaginer pour réguler. Mais, on vous brandira la Constitution.
Et c'est au nom de cette Constitution que les gens font du n'importe quoi dans ce domaine », remarque Owona Ntsama. « Nous avons regardé de près ce phénomène-là, aucune religion, quand elle fait sa demande auprès du ministère de l'Administration territoriale qui est chargé de donner quitus, ne vous dit que je prélèverai beaucoup d'argent auprès des disciples, je demanderai qu'on boive du sang frais des petits bébés et autres. Le texte ne vous parle que de Jésus Christ et de la Bible. Il est difficile de savoir a priori la malfaisance de telle ou telle nouvelle forme de religiosité.
C'est dans la pratique qu'on se rend compte que le gouvernement de la République a été trompé », renchérit Bingono Bingono. Mais, les pouvoirs publics ne peuvent pas se laver totalement les mains. « Là alors où on peut pointer un doigt plus ou moins accusateur sur les pouvoirs publics, c'est sur la sensibilisation.
Ceux-ci devraient sensibiliser le peuple pour qu'il ne se laisse pas tromper par ces vents religieux venus d'ailleurs. Et la sensibilisation devrait continuer non seulement par les médias, mais par les religions classiques », suggère l'anthropologue qui propose d'associer aussi le système éducatif. Les mêmes soucis ne sont pas en revanche formulés pour les sanctuaires et autres lieux d'adoration des religions classiques consacrées, à l'instar du sanctuaire marial de Nsimalen de l'Eglise catholique près de Yaoundé, qui rappelle Lourdes en France et où sont annoncés des « miracles » attribués aux « phénomènes d'apparition » de la Vierge Marie en ces lieux en mai 1986. « Les gens vont courir partout où un mieux-être est susceptible d'être généré. La religion catholique, nous savons qu'elle a des lieux d'adoration, elle a des lieux dits de miracles. Donc, Nsimalen s'inscrit dans le même registre.
Maintenant, allons-y voir, est-ce qu'il y a des manifestations concrètes de la Sainte Vierge Marie en tant que celle-ci peut guérir des maladies ? Des sanctuaires mariaux, il y en a partout dans le monde », observe François Bingono Bingono.