Esclavage : des Camerounais-Américains "guéris" de leur "blessure" après un retour aux sources (MAGAZINE)

Afriquinfos Editeur
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La veille à Bimbia, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de la ville balnéaire du sud-ouest du Cameroun, la chercheuse afro-américaine venue renouer avec le "douloureux passé" qu'elle vit en elle comme une "profonde blessure", parmi un groupe de 87 Américains d'origine camerounaise ayant retrouvé leurs racines grâce à des tests ADN, n'arrêtait pas pleurer durant la cérémonie organisée en leur honneur sur un site ayant servi de port d'embarquement des esclaves lors de la traite négrière.

Le fameux chapitre ayant marqué d'un voile sombre l'histoire de l'humanité et occasionné entre le commerce, comme du bétail, puis la déportation de 10 à 15 millions de valeureux hommes et femmes d'Afrique dont particulièrement ceux du golfe de Guinée réputés robustes et travailleurs, d'après des études, remonte aujourd'hui à plus de 400 ans. Mais il provoque encore vive émotion et répulsion.

A Bimbia, cette charge émotionnelle a atteint son comble avec des instants de transe brusque vécus sur l'ancien port d'esclavage par Lisa Aubrey, une autre chercheuse membre de la délégation des Ark Jammers, du nom de l'association promotrice des voyages retour des descendants des esclaves camerounais dans leur patrie d'origine, association créée par un groupe d'artistes et de mélomanes camerounais résidant aux Etats-Unis.

A l'instar de Ravin Scott-Manna qui, en guise de souvenir, a emporté dans ses bagages du voyage retour aux Etats-Unis un bout de terre et des pierres de Limbe, Lisa Aubrey mène des recherches pour retracer les routes de la traite négrière qui fait d'elle un "sans-terre".

"C'est très émouvant pour moi. J'ai la chance de vivre la réalité des recherches que j'étais en train de faire. Je travaillais pour localiser l'endroit où la charge humaine s'est produite au Cameroun", a-t-elle confié à Xinhua.

 

PASSE TRES DOULOUREUX

"Bimbia est très significatif pour moi en tant que terroir. Je pleure non seulement pour la douleur du passé, mais parce que nous sommes de nouveau ensemble", a ajouté cette professeure associée du School of Social Transformation (ASU) de l'Université d'Arizona, faisant part de son émotion et sa joie" qu'il y ait désormais la possibilité d'affronter un passé très douloureux ".

Sur place au Cameroun pourtant, aucun livre d'histoire connu n'existe pour permettre ce flash-back dans les temps anciens. En conséquence, la mémoire collective porte un vide concernant Bimbia que le peuple camerounais découvre stupéfait aujourd'hui en même temps que ses hôtes depuis la première délégation d'une trentaine de membres des Ark Jammers en décembre2010-janvier 2011.

C'est un vide qui, de l'avis de l'historien camerounais Kum'a Ndumbe III, responsable d'une ONG (organisation non gouvernementale) dénommée Fondation AfricAvenir International, se justifie par le faite "qu'après 1960, dans la plupart des pays africains, l'histoire de l'Afrique est une histoire écrasée en général, ce n'est pas seulement ce chapitre-là".

Avec dans ses rangs Vincent Hughes, sénateur démocrate de Pennsylvanie et dont l'épouse Sheryl Lee Ralph, célèbre chanteuse et actrice de cinéma ayant joué dans des séries télévisées telles que "The Cosby Show" et "Sister Act II", est d'origine camerounaise, la nouvelle délégation, de par son nombre plus grand, témoigne de l'intérêt manifesté par la communauté camerouno-américaine pour s'approprier leur histoire et venir visiter un terroir dont ils réclament avec fierté.

A en croire Avline Ava, initiatrice de cet important projet inédit baptisé Ancestry Reconnection Program (ARP), plus de 8.000 "Caméricains", nom consacré pour désormais désigner les Américains d'origine camerounaise, ont déjà pu retrouver leurs origines grâce aux tests ADN. Parmi eux, des célébrités du monde du showbiz comme Guincy Jones Woopie Goldberg, Wesley Snipes.

Ce qui fait dire au Pr. Kum'a Numbe III que "c'est un rêve qui est en train de se réaliser. On n'aurait même pas imaginé qu'on pourrait faire ce qui est en train de se passer. Ce 21e siècle, c'est le siècle de l'Afrique et des peuples noirs. Et c'est ça qui est en train de se passer. Parce que nous sommes en train de récupérer notre passé, voire les erreurs tragiques qui se sont passées, de laver, de purifier pour continuer, parce que l'Afrique aujourd'hui est debout".

"C'était dramatique, il y a des rois, des princes qui partaient. Il faut arrêter les tabous. Il faut que la mémoire qui a été réprimée, refoulée ou écrasée, revive. C'est la seule condition pour que nous puissions faire de grands bonds en avant. Parce que ceux qui sont aux Etats-Unis, au Canada, aux Antilles et nous sommes une personne", professe cet initié des traditions cachées du peuple Douala, originaire de la ville du même nom et métropole économique camerounaise.

"Nous devons, insiste-t-il, purifier de tous les côtés, au niveau des acteurs, de ceux qui ont souffert et surtout nous aujourd' hui qui n'avons pas vécu tout cela. Nous devons prendre des décisions absolument inébranlables, parce que nous devons construire l'avenir de l'Afrique et l'avenir de l'Afrique, c'est l'avenir de l'humanité. Parce que c'est l'Afrique qui a le plus souffert et qui est capable de pardonner, de purifier et de dire au monde entier aujourd'hui qu'il faut que la folie cesse, cette folie des guerres qui continuent".

 

SENTIMENT DE LIBERATION

A Bimbia, comme en janvier 2011, c'est de purification qu'il s'est agi, lors d'une cérémonie faisant notamment intervenir les garants de la tradition. D'où le sentiment de "libération" exprimé par chacun des 87 nouveaux visiteurs" caméricains" qui, outre des rencontres officielles avec les autorités camerounaises, une cérémonie similaire à Douala et un concert à Yaoundé, ont visité Garoua (Nord), où ils ont été reçus par le lamido ou guide spirituel Alim Hayatou, par ailleurs secrétaire d'Etat à la Santé publique.

Chanteuse brésilienne originaire de Sao Paulo et établie en Suisse, Regina Ribeiro a salué un grand moment de bénédiction, de lumière et de guérison. "Je suis reconnaissante au bon Dieu que j'aie la possibilité et la chance d'être là. C'est pour moi aussi une opportunité de guérison et en même temps pour mes ancêtres, pour mon peuple. Je représente ici au Cameroun maintenant 68 millions de Brésiliens afro-descendants", a-t-elle déclaré à Xinhua.

A l'annonce du résultat de son test ADN en janvier 2011, elle était restée, a-t-elle révélé, "deux jours dans les nuages, parce que c'est quelque chose qui est tellement important. C'est vrai que j'étais déjà en Afrique, j'avais été en Côte d' Ivoire, au Ghana, je travaillais beaucoup avec d'artistes africains, mais le Cameroun a toujours eu une place particulière dans mon cœur", sans savoir à cette époque qu'elle avait ses origines dans ce pays.

"On se sent libérés. Vraiment, nous sommes tous très émus. Pour moi et pour chacun de nous, c'est une grande bénédiction, c'est un moment qui marque notre existence, je ne parle même pas de la vie, je parle de l'existence de notre âme, de notre esprit. Et ma vie ne sera plus jamais la même et je pense que toute notre délégation, nos vies ne seront plus jamais les mêmes. Nous sommes vraiment bénis. Et comme nous l'avons entendu, quand tu es reconnectée avec tes racines, la vie c'est une autre vie", s'est réjouie la chanteuse.

Pour elle encore, les larmes perçues sur les visages, "sont d'abord de l'émotion de pouvoir être ici. Elles sont de la tristesse aussi pour tout ce qui est arrivé à nos ancêtres. Mais ces larmes sont aussi de la joie, parce que grâce à la force de nos ancêtres, nous sommes là. Parce que si nos ancêtres n'étaient pas assez forts, nous ne serions pas là. Et ces larmes aussi, c'est pour l'émotion de cette cérémonie qui a été organisée, d'entendre le pardon du peuple camerounais, du peuple de Bimbia, la considération, le respect, la générosité, l'amour qu'on ressent pour notre séjour ici".

D'après les récits, parce que très rebelles, beaucoup d'esclaves camerounais y avaient perdu leur vie lors de leur déportation, par suicide ou après avoir été jetés à la mer par les esclavagistes anglais qui, en échange de cette "proie" destinée aux travaux dans les plantations de canne à sucre en Amérique, venaient tromper des chefs de communautés locaux avec du sel, de l'alcool à consommer des bijoux, des vêtements, etc.

Plus de 400 ans plus tard, c'est le racisme qui mine aujourd'hui l'existence du Noir dans le monde. Au Brésil par exemple, fait remarquer Regina Ribeiro, malgré des progrès par rapport à il y a 30-40 ans et "que nous sommes 50% de la population, on doit encore confronter des défis très importants de niveau racial. Malheureusement, c'est encore comme ça". Mais, la lutte de libération se poursuit avec plus d'acharnement pour le renouveau noir, assure la chanteuse. Et avec Bimbia, un credo pour les visiteurs des Ark Jammers, l'espoir est plus grand…