Perception de l’immigration en Occident: Une perspective à reconsidérer

Afriquinfos Editeur
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Chaque année, des dizaines de milliers de personnes provenant de pays du Sud tentent de rejoindre les pays riches. En 1991, alors que l’URSS était sur le point de disparaître, l’écrivain, politologue et diplomate Jean-Christophe Rufin publia un ouvrage qui a pour titre ‘’ L’Empire et les nouveaux barbares’’. L’œuvre comportait notamment une carte en noir et blanc intitulée ‘’L’équateur démographique’’.

‘’Il suffit de représenter sur une carte les taux d’accroissement annuels de la population : un équateur humain apparaît’’, constatait l’auteur.

En redessinant  cette carte à partir des données de 2022, il en ressort qu’il n’y a plus véritablement d’équateur marquant la limite des 15 ‰, mais une sorte d’îlot continental (en vert) centré sur l’Afrique et affichant pour certains pays des taux d’accroissement naturel supérieurs à 30 ‰ (jusqu’à 37 ‰ au Niger).

Ainsi, la gestion de la pandémie du sida a prêté le flanc à la critique quand, en 2001, les laboratoires pharmaceutiques du Nord ont intenté une action en justice pour tenter d’interdire à ceux du Sud de fabriquer des traitements à bas prix pour les pays les plus touchés, dont l’Afrique du Sud. La pression de l’opinion internationale a toutefois fini par faire céder les grands laboratoires qui ont accepté en avril 2001 de vendre aux pays du Sud en situation d’urgence sanitaire leurs traitements à prix coûtant.

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D’autres graves épidémies ont frappé l’Afrique, notamment Ébola, qui a causé la mort d’au moins 20 000 personnes en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Mais dans ce cas précis, le Nord n’a pas ménagé ses efforts pour aider à juguler ce fléau.

De même, la pandémie du Covid (2020-2022) a donné lieu à une vaste opération de solidarité coordonnée par l’OMS pour la distribution gratuite de plus d’un milliard de doses de vaccins (initiative COVAX). Le continent africain a d’ailleurs été relativement peu touché par le virus.

En termes de ‘’malthusianisme naturel’’, les guerres en Afrique ont causé des millions de morts (2 millions au Biafra, 6 millions en RD Congo, plus de 5 millions d’enfants en vingt ans). Par ailleurs, il est clair que les famines n’épargnent pas le Sud. Dans certaines régions – le Sahel, la Corne de l’Afrique, le sud de Madagascar –, elles sont récurrentes.

Ces fléaux ont pu alimenter des théories du ‘’complot blanc’’ pour exterminer les populations africaines.

L’abandon du Sud craint par J.-C. Rufin aurait pu passer, selon ses termes, par  ‘’une politique sélective consistant à n’assister que les États-tampons, ceux qui sont situés le long du limes et doivent assurer sa stabilité’’.

Plusieurs décisions pourraient apparaître comme des illustrations de cette prévision. Un premier exemple est venu de l’accord signé entre l’Union européenne et la Turquie en 2016 afin de ‘’bloquer’’ les migrants désireux de demander l’asile en Europe. La Turquie apparaissait donc bien comme un État-tampon, à qui l’Europe a versé deux fois 3 milliards d’euros, accordé de larges facilités pour l’obtention de visas, et promis un examen bienveillant de sa demande d’adhésion à l’UE. Ce Pacte migratoire a été renouvelé en 2021.

En 2010, l’Italie avait failli conclure un accord similaire avec la Libye. Mais le pays est devenu depuis un État failli et l’UE a entrepris de « repousser ses frontières au sud du Sahara ».

C’est ainsi qu’à Agadez (Niger), ville considérée comme l’une des plaques tournantes des migrations subsahariennes, l’UE a obtenu des autorités qu’elles punissent les passeurs de façon drastique. Pour compenser le « manque à gagner » (car les populations de cette région vivaient du trafic de migrants), elle a débloqué en 2017 un premier programme d’aide (30 millions d’euros.

Parallèlement, le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) et l’OFPRA (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides) ont délocalisé leurs antennes au Niger et dans d’autres pays sahéliens, notamment au Tchad, pour instruire les dossiers de candidats à l’asile dans ce qui pouvait effectivement apparaître comme une nouvelle « zone-tampon ».

Il est également un territoire du Sud qui a été démarché par un pays du Nord pour accueillir des migrants : le Rwanda. L’accord passé le 14 avril 2022 entre le Royaume-Uni et le Rwanda (et validé par la Haute Cour de Londres le 19 décembre 2022) prévoyait que toute personne entrée illégalement dans le pays pourrait être relocalisée au Rwanda, moyennant un financement de 120 millions de livres (144 millions d’euros). Qualifié de scandaleux par de nombreuses associations de défense des droits humains, ce programme n’est pas très éloigné de ce qui avait été mis en place en Turquie, au Niger et au Tchad.

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