Les Al-Shababs qui terrorisent le Nord du Mozambique

Afriquinfos Editeur
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Une insurrection jihadiste sème la terreur depuis trois ans dans le nord du Mozambique, une zone stratégique car riche en gaz, mais ces groupes armés surnommés localement « al-shabab » (les jeunes, en arabe) conservent jalousement leur mystère.

Le conflit, qui a déjà fait plus de 2.000 morts et au moins 310.000 déplacés dans la province de Cabo Delgado, frontalière avec la Tanzanie, entre dans sa quatrième année ce mois-ci.

L’an dernier, les jihadistes ont prêté allégeance à l’Etat islamique (EI) mais il reste difficile de cerner qui est à leur tête et leur motivations n’ont été explicitées que récemment.

Ce que l’on sait:

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Racines de la révolte

Vers 2007, les responsables religieux, dans cette région à majorité musulmane, commencent à remarquer un « drôle de mouvement« : Des jeunes gens se mettent à pratiquer un islam « différent« , buvant de l’alcool et entrant à la mosquée en shorts et sans se déchausser.

Ces jeunes forment d’abord un groupe baptisé Ansaru-Sunna et construisent de nouvelles mosquées adoptant un islam rigoriste, selon Eric Morier-Genoud, professeur d’histoire africaine à Belfast.

Les autorités locales sous-estiment alors leur capacité de nuisance, soulignent des villageois. « On savait tous qu’ils étaient dangereux, mais on n’a jamais pensé qu’ils étaient capables de lancer une guerre« , confie à l’AFP un imam de Mocimboa da Praia, devenue plus tard l’épicentre du conflit.

Ce mouvement se nourrit des déçus de l’exportation gazière, avant même qu’elle n’ait commencé. Beaucoup dans cette zone déshéritée comprennent vite qu’ils « vont toucher très peu ou pas du tout des bénéfices de l’exploitation » de vastes réserves sous-marines découvertes au début des années 2000, souligne un expert sécuritaire français.

Ce projet d’exploration offshore de plusieurs milliards de dollars, auquel participe le groupe français Total, a aussi « chassé des gens de leurs villages, de leurs terres cultivées ou des endroits où ils avaient l’habitude de pêcher« , aggravant un sentiment d’amertume, note Enio Chingotuane, expert sécuritaire enseignant à Maputo.

Allégeance et identité

Depuis leurs premières attaques en octobre 2017, ils cachaient leur identité. Mais en mars-avril, ces groupes armés montrent leurs combattants dans des vidéos et déclarent ouvertement leur intention d’établir un califat.

Leurs dirigeants sont inconnus. Selon le Centro de Jornalism Investigativo mozambicain (CJI), il y a deux possibles leaders, dont un s’appelle Abdala Likonga: « Parti au Kenya et en RDC pour apprendre notamment la lutte armée, on soupçonne qu’il aurait été nommé à la tête du mouvement à son retour au Mozambique« .

Mais en 2018, la police avait cité six hommes à la tête du mouvement, le nom de Likonga n’y figurait pas.

L’EI a revendiqué quelques dizaines d’attaques depuis juin 2019 dans la région. Soit moins de 10% d’entre elles, souligne l’expert français qui veut conserver son anonymat: « Ce sont des groupes armés, dont certains sont peut-être seulement des bandes criminelles. C’est difficile de connaître leur composition et leurs allégeances exactes. »

Recrutement, entraînement

Certains jeunes ont été embrigadés via de fausses promesses de bourses pour étudier à l’étranger: Ils se sont retrouvés dans des camps d’entraînement au fin fond des forêts denses du Cabo Delgado.

Les groupes armés ont aussi « recruté avec des promesses d’argent ou d’emploi. Aujourd’hui ils pratiquent l’enlèvement, augmentant mécaniquement leur nombre« , note Enio Chingotuane.

Et des combattants ont reçu un entraînement « de gens venant de la région des Grands Lacs et d’autres coins de l’Afrique« , selon lui.

« Ils pourraient avoir reçu quelques renforts opérationnels venus d’autres pays » ces derniers mois, appuie l’expert français. « Ce qui est sûr, c’est que l’élévation du mode opératoire ne s’est pas faite par l’opération du Saint-Esprit« .

Sur l’amélioration récente aussi de leur équipement, visible dans la multiplication d’attaques récentes, « il y a aussi l’hypothèse d’une convergence avec des réseaux criminels: les trafiquants fournissent de l’aide et les jihadistes les débarrassent d’un certain nombre de contrôles« , avance-t-il.

Difficile d’estimer le nombre des combattants. Selon des sources de renseignement militaire sur le terrain, ils pourraient compter quelque 2.000 combattants.