« Retrait coordonné » du Mali de Barkhane et de Takuba, une annonce qui a une petite histoire…

Afriquinfos Editeur
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Les "trois frontières" au Sahel.

2013: le président François Hollande est acclamé à Tombouctou, fraîchement libérée des jihadistes par les forces françaises. Neuf ans plus tard, les slogans antifrançais fleurissent à Bamako et la junte au pouvoir accuse Paris de tous les maux. Retour sur une rupture.

François Hollande acclamé à Tombouctou, le 2 février 2013.

Le 11 janvier 2013, la France lance l’opération Serval au Mali à la demande de l’Etat malien, pour enrayer la progression des jihadistes associés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui ont pris le contrôle de Kidal, Gao et Tombouctou (nord du Mali). Fin janvier, le président français est accueilli en libérateur par une foule en liesse et déclare connaître « le plus beau jour de (sa) vie politique ».

« Si la France n’était pas intervenue, aujourd’hui le Mali serait sous domination jihadiste. Ce combat, nous l’avons gagné », soulignait en janvier à l’AFP Jean-Yves Le Drian, actuel ministre français des Affaires étrangères et ministre de la Défense de 2012 à 2017. Une mission de l’ONU (Minusma, 15.000 hommes) est rapidement déployée.

En 2014, l’ancienne puissance coloniale choisit d’étendre son action militaire avec l’opération antijihadiste Barkhane, qui comptera jusqu’à 5.500 hommes. Objectif: poursuivre la lutte antiterroriste et accompagner le Mali et ses voisins pour que leurs forces de sécurité soient un jour capables d’assurer leur sécurité.

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Un excès de confiance dans une zone parmi les plus pauvres de la planète, minée par la corruption et les tensions communautaires, soulignent nombre d’experts. « Serval répondait à une bonne stratégie, avec des objectifs clairs et des moyens adéquats. La grande erreur a été de rester »,  estime l’historien militaire Michel Goya. « On a voulu jouer les gendarmes au lieu de rester des pompiers. Mais il existait trop de problèmes structurels ingérables ».

En mai-juin 2015, l’accord de paix dit d’Alger est signé entre gouvernement et ex-rébellion non jihadiste. Très peu appliqué, il reste la référence pour une sortie de crise. La même année commencent à se multiplier les attaques contre les forces sahéliennes et étrangères, ainsi que des lieux fréquentés par des étrangers. Engins explosifs artisanaux, attaques éclair de jihadistes à moto, attentats… Les groupes jihadistes gagnent du terrain au Niger et frappent désormais le Burkina Faso.

Un soldat français de la force Barkhane, le 5 juin 2015 près de Tombouctou (Mali).

La contagion est en marche. En mars 2017, le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » (GSIM) est créé, fédération de groupes jihadistes autour d’Aqmi, dirigé par Iyad Ag Ghali. Un autre groupe, l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS), monte en puissance et signe une série d’attaques d’ampleur fin 2019 contre des bases militaires au Mali et au Niger.

Fin 2019, la France perd 13 de ses militaires dans la collision de deux hélicoptères au Mali. Le président Emmanuel Macron tape du poing sur la table et convoque les chefs d’Etats du Sahel au sommet de Pau (sud-ouest de la France) pour exiger un sursaut collectif. Une séquence diplomatique vécue comme une humiliation. « Cet affront public a laissé des traces durables », commente une source sécuritaire ouest-africaine.

La France envoie 500 hommes supplémentaires sur le terrain pour mettre à terre l’EIGS, désigné ennemi numéro un, et poursuivre sa politique de « neutralisation » des cadres jihadistes. Le 4 juin, le chef d’Aqmi, l’Algérien Abdelmalek Droukdel, est tué par Barkhane au Mali. Un succès symbolique majeur. S’ensuivent une série d’éliminations ciblées.

Mais les groupes armés ne lâchent pas leur emprise. Les autorités maliennes, faute de moyens ou de volonté, ne reprennent pas le terrain et n’installent ni services ni forces de sécurité dans les régions délaissées du pays.

Manifestation contre contre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et Barkhane, à Bamako le 21 août 2020.

« Le problème, c’est qu’à chaque victoire tactique française, l’Etat malien n’en a pas profité pour remettre des services, des juges, des préfets, des forces de sécurité dans ces zones. Or la nature a horreur du vide », confie, amer, le colonel Raphaël Bernard, trois fois déployé au Mali.

Paris compose avec l’immobilisme du président malien Ibrahim Boubacar Keita, tout en commençant à s’adjoindre des partenaires européens pour partager le fardeau, au sein du groupement de forces spéciales Takuba. Mais à l’incurie du pouvoir s’ajoute l’instabilité politique: en août 2020 puis en mai 2021, deux coups d’Etat successifs secouent le Mali et mettent le pouvoir aux mains d’une junte qui joue rapidement la carte du sentiment antifrançais.

La dégradation de la situation sécuritaire malgré la présence de Barkhane fait grandir l’incompréhension des populations. Les violences se propagent dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Ghana. Inquiète du risque d’enlisement, la France, qui a dépensé un milliard d’euros par an dans cette opération, annonce la réduction de son engagement au Sahel (de 5.100 hommes à 3.000 à l’horizon 2022).

Bamako dénonce un « abandon en plein vol » et finit par recourir, selon des accusations occidentales démenties par le Mali, aux services de la sulfureuse société privée russe Wagner. La junte repousse sine die l’organisation d’élections et multiplie les déclarations hostiles à Paris. Elle est mise au ban par les autres pays de la région. Le divorce avec Paris est consommé, et officialisé jeudi quand la France et ses partenaires annoncent un « retrait coordonné » du Mali.

En neuf ans, 48 militaires français ont été tués au Mali, où les violences jihadistes et intercommunautaires ont fait des milliers de morts civils.