Où en est le Sénégal dans la lutte contre la torture ?

Afriquinfos
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Genève (© 2018 Afriquinfos) – Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Sénégal sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentent ce rapport, M. Coly Seck, Représentant permanent du Sénégal auprès des Nations Unies à Genève, a indiqué que son pays avait entendu mettre en œuvre la Convention par l’insertion, dans le Code pénal, de l’article 295-1, lui-même inspiré des articles 1 et 4 de la Convention et qui retient une acception large de la torture.  La loi a ensuite été complétée pour consacrer la compétence universelle des juridictions sénégalaises, notamment en matière de torture, a-t-il ajouté.

L’adoption de nouvelles dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relativement aux crimes visés par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale a contribué à consolider le dispositif de protection des droits de l’homme au Sénégal, a en outre fait valoir le Représentant permanent.  Ces mesures, a-t-il expliqué, s’ajoutent à d’autres qui touchent notamment au réaménagement de la garde à vue au profit d’une meilleure protection des droits de la personne mise en cause.  Depuis 2016, la loi renforce le droit à l’assistance d’un avocat dès l’interpellation, a par ailleurs fait valoir M. Seck.

Outre l’incrimination de la torture dans le droit national, a poursuivi le Représentant permanent, le Sénégal a la ferme volonté de mettre en œuvre ses engagements internationaux, comme en témoigne la décision de poursuivre les auteurs de crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990.  Pour ce faire, le Sénégal a adopté toutes les mesures législatives afin d’établir sa compétence.  Pour parachever ce processus, le Sénégal a signé, en 2012, l’Accord (avec l’Union africaine) portant création des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, a rappelé M. Seck.  Lesdites Chambres ont poursuivi et jugé l’ancien président du Tchad qui a été condamné pour crime de guerre, crime contre l’humanité et torture, a-t-il souligné.  Le Sénégal est l’un des rares pays ayant érigé la torture en crime autonome contre l’ordre public, a d’autre part fait valoir le Représentant permanent.

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Un rapport  inquiétant 

Le représentant a ensuite mis en avant la création en 2009 de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté, en application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention que le Sénégal a ratifié en 2006. Des efforts continuent d’être faits pour désengorger certaines prisons, a ajouté le Représentant permanent. Au Sénégal, la répression des actes de torture est effective, a-t-il assuré: des officiers de police judiciaire ont été traduits en justice et sanctionnés après avoir été poursuivis pour ce chef d’accusation.  M. Seck a informé le Comité d’autres progrès importants accomplis par son pays, citant notamment l’abolition de la peine de mort en 2004; la création d’une Cellule nationale de lutte contre la traite de personnes; la modernisation des écoles coraniques avec le soutien d’organisations non gouvernementales nationales et internationales ; ou encore des programmes de retrait des enfants de la rue.

La délégation sénégalaise composée, entre autres, de représentants des Ministère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, de l’intérieur, de la justice, des forces armées, de la santé et de l’action sociale, ainsi que de l’Inspecteur général de l’Administration pénitentiaire de Dakar, a répondu aux questions des membres du Comité s’agissant, notamment, de la garde à vue et des garanties de procédure ; de la pratique dite du « retour de parquet » ; de la définition de la torture et des peines encourues pour ce délit ; de la détention préventive ; des peines alternatives à la privation de liberté ; des conditions carcérales ; des décès d’Amadou Dame Ka et de Boubacar Ndong ; ou encore de la législation relative aux réfugiés et aux apatrides. M.

Sébastien Touzé, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Sénégal, a constaté que si des améliorations notables avaient été apportées au régime de la garde à vue au Sénégal, deux facteurs pratiques compromettaient la réalisation effective des garanties intégrées à la législation sénégalaise : d’une part, le faible nombre d’avocats en exercice au Sénégal (350 pour 15 millions d’habitants) et, d’autre part, la répartition géographique des avocats, qui se trouvent principalement concentrés à Dakar. Le corapporteur a en outre relevé plusieurs points inquiétants s’agissant de la situation dans les prisons sénégalaises, au premier rang desquels la surpopulation carcérale, le pays comptant aujourd’hui plus de 10 000 détenus, contre 4891 en 2000.

  1. Claude Heller Rouassant, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Sénégal, s’est pour sa part dit préoccupé par la situation des 50 000 enfants talibés vivant dans des écoles coraniques par lesquelles ils sont exploités et souvent réduits à la mendicité. La loi sénégalaise définit le terrorisme de manière très extensive, ouvrant la voie à toutes sortes d’interprétations et accordant ainsi aux autorités des pouvoirs très étendus en matière d’arrestation, de détention, d’enquête et de confiscation de biens, a par ailleurs fait observer M. Heller Rouassant.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Sénégal et les rendra publiques à l’issue de la session, le 18 mai prochain.

Vignikpo Akpéné