Quartier Dar El Salam, en plein cœur de Niamey. Une concession. A l’intérieur, une modeste villa de trois pièces. Dans la cour, un hangar. En dessous, des hommes, des femmes, des enfants, assis sur une natte. « Cela fait trois mois que nous sommes ici, sans nouvelles de nos parents et amis restés au pays. Nous sommes en bonne santé, mais nous ne savons pas comment se portent les nôtres. C’est pénible », confie, entre deux gorgées de thé, Tahouket Diallo, 48 ans, mariée, deux enfants. Son mari ? « Aucune nouvelle. Lorsque nous sommes partis, il était à Ménaka, dans le nord du Mali. Aux dernières nouvelles, il aurait quitté, mais j’ignore pour quelle destination. Quand les événements ont commencé, il m’a dit de partir tout de suite, à cause de nos enfants », poursuit-elle.
Tahouket a trouvé refuge à Niamey, avec son garçon de 18 ans et sa fille de 15 ans. Deux adolescents, deux élèves, aujourd’hui désœuvrés, faute de moyens pour les inscrire dans une école de la place. Il y a deux jours, une ONG américaine a apporté une assistance aux réfugiés maliens vivant dans ce quartier : du riz, du haricot, de l’huile, de l’oignon, du savon. « C’est la toute première fois que nous recevons un secours quelconque depuis que nous sommes au Niger », souligne Tahouket Diallo. Concernant le logement, elle se fait plus précise : « Nous sommes quatre familles à partager cette maison de trois pièces. Elle nous revient à 100 000 F CFA le mois. Il a fallu faire un tour de table pour honorer les trois mois de caution… »
La promiscuité ne semble guère déranger Tahouket Diallo, surtout en comparaison du climat d’insécurité qui règne dans son Mali natal. Au regard aussi, sans doute, des conditions de vie précaires que vivent d’autres Maliens à Niamey. « J’habite chez mon oncle dans une chambre salon et dans une cour commune. Il a deux femmes qui vivent sous le même toit et six gosses. Pour prendre sa douche, il faut se lever à cinq heures du matin et faire la queue. Il y a cinq habitats du même type dans la cour, avec autant de familles. Et il n’y a qu’une seule douche pour tout le monde », se plaint Youma Cissé, 23 ans, originaire de Gao. Elle a abandonné mari et proches pour se retrouver à Niamey. « Je vis presque en famille ici à Niamey, parce qu’il y a beaucoup de ressortissants de Gao que je connais. Le problème, c’est ma fille. Elle n’arrête pas de demander des nouvelles de son papa. Nous ne pouvons pas retourner à Gao tant que la paix ne sera pas revenue », murmure Youma Cissé en caressant les cheveux de sa fille de six ans.
Ibrahim Ag Mohamed, quant à lui, fait contre mauvaise fortune bon cœur. Etudiant en première année à la Faculté de Sciences et Gestion à Bamako, il a préféré fuir dès les premières « casses », comme il dit. Il a suivi une de ses tantes pour Niamey, tandis que son père trouvait refuge en Algérie avec sa femme et deux autres enfants. A Niamey, Ibrahim n’a pas perdu du temps. « Je me suis inscrit en première année d’informatique et gestion. L’inscription coûte 250 000 F CFA. Mon père m’a donné l’assurance qu’il prendrait en charge les autres frais », confie-t-il.
Sur ces entrefaites, le téléphone sonne. Ibrahim s’éloigne. Quelques minutes après, il revient et me lance : « Excuse-moi, ce sont mes frères qui sont en Algérie. Ils me demandent de me connecter à l’internet pour qu’on puisse échanger en direct, si possible avec une webcam ». Ibrahim s’est acheté un ordinateur portable et souscrit un abonnement internet d’un mois chez un opérateur de téléphonie cellulaire de la place. « Cela permet de rester en contact avec les amis, les parents et de suivre l’évolution de la situation au Mali », se réjouit-il.
Zainab Gjindo, elle, a 18 ans. Elle est élève et préparait son examen de fin de cycle dans un lycée de Bamako. « Je me suis inscrite en classe terminale dans un lycée privé de Niamey. Mais j’ai vite abandonné parce que les programmes ne sont pas les mêmes. Tout ce que je souhaite, c’est la paix dans mon pays, pour que je puisse retrouver ma famille, mes amis et mes études », explique Zainab. A Niamey, elle vit avec sa mère, ses frères et sœurs dans une maison à deux niveaux pour un loyer mensuel de 175 000 F CFA, qu’ils partagent avec quatre autres familles de réfugiés.
Abdou Haidara a 32 ans. Il vit dans la même cour, avec femme et enfants. Au Mali, il était commerçant. Assis dans une chaise dans un petit coin de la cour, son enfant sur les jambes, il ne peut contenir sa colère : « Je suis propriétaire d’une grande boutique à Gao. J’ai tout abandonné pour venir ici. Je passe mon temps à manger, à boire du thé et à dormir. Ce n’est pas une vie… »
« Les réunions succèdent aux réunions. Jusque-là, nous n’avons reçu aucune aide substantielle. A chaque rencontre avec les ONG humanitaires, ce sont les mêmes promesses, le même refrain. Nous en avons assez ! Nous avons des bouches à nourrir, des enfants à scolariser et des malades à soigner », martèle Lallah Djindo Ahmed, présidente du Comité de crise chargé des réfugiés maliens vivant dans la communauté urbaine de Niamey. « Notre souhait, c’est que la communauté internationale aide le Mali à retrouver la paix. Mes neveux, nièces, tantes, sœurs et frères sont éparpillés entre le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et l’Algérie. Chaque jour qui passe accroît notre angoisse, avec les informations alarmistes en provenance du pays. Vivement la paix au Mali », conclue-t-elle.