Assassinat d’Amilcar Cabral: 50 ans après, souvenirs émus principaux de sa veuve

Afriquinfos Editeur
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Praia (© 2023 Afriquinfos)- Le 20 janvier 1973, Amílcar Cabral était assassiné à Conakry devant son domicile, aux côtés de son épouse Ana Maria, par la police politique portugaise. 50 ans plus tard, c’est-à-dire en ce janvier 2023, la veuve Cabral revient sur les faits ayant mis un terme à la vie de cet homme politique bissau-guinéen et cap-verdien.

Panafricaniste et colonialiste, Amilcar Cabral avait déjà reçu plusieurs renseignements des services d’espionnage de divers pays amis de l’époque. «C’est moi qui n’étais au courant de rien. Mais j’ai vu qu’il était très soucieux ce jour-là. Il était très, très inquiet», confiait Ana Maria Cabral dans un entretien accordé à Rfi en marge du 50ème anniversaire de décès de son époux.

«Après, il y avait une réception, si je ne me trompe, à l’ambassade de Pologne. Il n’était pas franchement du genre à fréquenter souvent les réceptions… Mais là il m’a dit exceptionnellement, allons-y, d’autant plus qu’on n’a jamais reçu d’aide de la part de la Pologne. Allons-y, donc, pour leur rappeler que nous avons également besoin de leur solidarité».

«On y est donc allés. Et je me suis rendu compte qu’il ne voulait plus en partir. Comme s’il avait le pressentiment que c’était le dernier jour de sa vie. Il parlait à absolument tout le monde : des ambassadeurs, d’autres diplomates et ne montrait aucune envie d’en partir.

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De retour à la maisonil a compris que la maison était assiégée, moi je me suis dit que c’étaient des agents habituels de la sécurité. Mais ce n’était pas ça. Ils se sont approchés de lui, ils ont voulu le ligoter…J’ai appris ensuite seulement que l’accord qu’ils avaient avec Spinola [Antonio de Spinola, le gouverneur militaire de Guinée Bissau, Ndlr] c’était de livrer les principaux dirigeants du PAIGC, qu’il y aurait des vedettes portugaises au large de Conakry pour les emmener ensuite vers Bissau pour être remis à Spinola», raconte la veuve Cabral.

Et de poursuivre, ils ont voulu attacher Cabral, il leur a dit « Non ! Ne me ligotez pas ! ». Ils ont commencé à discuter. «S’il y a des problèmes, il leur a dit, allons-nous asseoir au secrétariat et parlons-en»!

«Mais me ligoter, il n’en est pas question, on ne va pas commettre la même erreur que les colonialistes. Ligoter quelqu’un, c’est la preuve d’un manque de respect vis-à-vis d’un être humain, c’est humiliant, on peut attacher des poules, des bêtes, mais pas des êtres humains ! Là est l’une des principales raisons de notre lutte de libération»!

À un moment donné, il dit «Autant être tué plutôt que de me faire ligoter»!

Les colons portugais commanditaires du meurtre d’Amilcar

« Et voilà, Inocencio Kani a saisi l’occasion et a tout de suite fait feu contre Amilcar. Je ne me souviens plus exactement du nombre de coups de feu qu’il y a eu en tout… si ce n’est que le rapport d’autopsie avait fait état de 8 ou 9 balles en tout sur son corps, il me semble. Amilcar Cabral est la cible d’un premier tir de revolver de la part de Inocencio Kani… puis il essuie une rafale de kalashnikov…Cabral était déjà par terre tout ensanglanté. En voyant Aristides, ils se sont empressés de l’immobiliser et de le ligoter», relate-t-elle

Après, «je me suis mise à crier, pour appeler les voisins, des Guinéens de Conakry qui habitaient en face. Mais on m’a capturée, on m’a attachée et on m’a emmenée vers une maison un peu en retrait… que nous appelions « La Montagne » où, par le passé, nous avions retenu des prisonniers portugais -des soldats, surtout- que les Portugais avaient réussi à faire libérer… et nous sommes restés là… plus tard la secrétaire, Rosete Vieira, est arrivée toute blessée, et encore d’autres : Vasco Cabral, José Araujo, je ne sais plus trop», a-t-elle dit.

«Plus tard, nous avons été libérés par l’armée de Sékou Touré qui a envoyé un ministre nous libérer et on a été emmenés vers le palais de Sékou Touré. Mon inquiétude, c’était de savoir si les troupes de Sékou Touré avaient pu sauver Cabral… Mais après, le ministre de la Santé, lui-même, est venu me dire qu’après avoir essuyé 8 ou 9 coups de feu, ça n’avait pas été possible».

Amilcar Cabral avait été averti par différents interlocuteurs des risques d’assassinat. Mais il n’a pas cherché à se protéger «parce qu’il était comme ça, il pensait que les amis s’inquiétaient trop ! Que de toute façon, même s’il était tué notre lutte était très avancée… Il était complètement sûr que la lutte se poursuivrait jusqu’à la victoire finale, comme d’ailleurs ça a été le cas», a-t-elle laissé entendre.

L’homme politique évoquait toutefois de manière indirecte, son probable assassinat. Il disait: «Continue à bien éduquer nos enfants, avec des principes».

Pour Ane Maria, il n’y a aucun doute, seuls «les colonialistes ! Les colonialistes », ont commandité le meurtre de son époux. Le régime colonial portugais, notamment « Spinola qui avait déjà entraîné des gens au Cap-Vert, à la prison de Tarrafal, puis qui les a envoyés sur le terrain guinéen, présentés comme des déserteurs alors que tout ça ce n’était que des mensonges !

Cinquante ans après sa mort, la leçon  que laisse Amílcar Cabral jeunes générations, « c’est qu’il faut que nous préservions notre indépendance, notre dignité. Qu’il faut que les gens fassent tout leur possible pour vivre dignement, pour être cultivés. Et, bien évidemment, défendre notre patrie, ne pas permettre que des tiers puissent nous mettre d’autres idées dans la tête», a conclu Ana-Maria.

Panafricain de cœur, Amílcar Cabral l’était aussi dans l’action et l’organisation concrète de la lutte pour l’indépendance, jeune insulaire aux dons multiples, né de parents cap-verdiens sur la terre ferme de la Guinée-Bissau.

Il a été assassiné par un petit commando de militants de son mouvement, le PAIGC (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) qui, selon de nombreuses sources, étaient en lien avec les services portugais.

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