A la découverte des « cults » du Nigeria, confréries criminelles nées en 1950 et intouchables à l’échelle nationale

Afriquinfos Editeur
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Paris (© 2023 Afriquinfos)- Parmi les nombreux réseaux criminels nigérians existants, l’un deux attire une forte curiosité. Il s’agit des ‘’cults‘’. Ces derniers appréhendent le monde comme un terrain de conquête et un vaste marché où le crime est une occupation comme une autre. C’est ce que souligne le livre ‘’Mafia Africa’’, une œuvre de Joan Tilouine et Célia Lebur, deux journalistes, ouvrage qui vient de paraître.

« Mafia Africa » relève d’une enquête menée par ses auteurs. Pour mieux se ressourcer, les deux journalistes se sont rendus au Nigéria, Etat le plus riche et le plus peuplé d’Afrique. C’est dans la province d’Edo, au sud-ouest du pays, à Benin-city, que sont nés les « cults » à partir des années 1950. Aujourd’hui, ces mystérieux gang nigérians, aux croyances occultes, réputés violents et qui déstabilisent l’équilibre, sont impliqués dans le trafic de drogue, dans les réseaux de proxénétisme, dans la traite d’êtres humains et dans la cybercriminalité.

Les ‘’cults’’, c’est aussi un monde de rituels sanglants, de victimes déshumanisées et de combats pour le contrôle de territoires criminels. Simples associations étudiantes à leur départ, ces “cults” tournent en organisation criminelle dans une ville où l’électricité, l’eau et les biens de consommation de base ne sont plus assurés par l’Etat et au milieu de laquelle se font face deux mondes que tout oppose, mais que les « cults » relient: d’un côté la zone ultra-sécurisée des fortunés où résident les chefs des « cults » qui se donnent des noms d’empereurs, de l’autre un bidonville, Upper Sakponba, que Celia Lebur et Joan Tilouine décrivent comme « plus difficile qu’une zone de guerre« .

Lors de leur enquête, les deux journalistes parviennent à gagner la confiance et recueillir la parole des hommes de main comme des chefs des « cults« . Ils obtiennent même un entretien avec Lord Kupa, ancien numéro 1 du Neo Black Movement of Africa, soupçonné d’être une couverture légale d’un des plus important « cult » du pays, « black axe ». La multiplicité de leur ramification, des domaines dans lesquels ils exercent, la volatilité de leurs membres et de leurs activités, partout dans le monde sont leurs principales caractéristiques. Ce que Célia Lebur décrit comme “un syncrétisme capitaliste et ésotérique, africain et mondialisé, lugubre et lumineux”.

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A Benin City, la Government Reserve Area (GRA) est aussi l’endroit où converge l’argent des cults, où s’installent certains de leurs responsables. ‘’Il y a à la fois les politiciens’’, ‘’la vieille aristocratie’’, l’élite traditionnelle de Benin City, qui vit dans la GRA comme on l’appelle. Et il y a par ailleurs aussi tous les nouveaux riches, ceux que les gens de Benin City appellent eux-mêmes les «nouveaux riches», c’est-à-dire les « Yahoo Boys » (du nom du moteur de recherches Yahoo), qui pratiquent les escroqueries en ligne, les «Madames», les proxénètes, les grands chefs cultistes. Tout ce monde-là se retrouve dans la GRA et s’achète des maisons absolument somptueuses, vit le plus tranquillement du monde, confie Celia Lebur dans un entretien avec Rfi.

 

Réseaux nigérians le long de la route migratoire en Afrique

Ils sont extrêmement structurés et organisés. L’activité de ces réseaux est marquée par une violence omniprésente. Violence contre ceux qui sont transportés vers l’Europe, mais aussi violence entre cultistes eux-mêmes. Les trahisons se payent à l’arme, selon l’ouvrage, et les différents cults se livrent donc à une guerre de territoire, là où ils sont implantés.

Entre cults, les guerres sont incessantes pour le contrôle de trafics, de territoires, etc. Entre Eye et Vikings, entre Vikings et Black Axe, entre Black Axe et Eye, etc. Il y a aussi les guerres de territoires avec les autres groupes des territoires sur lesquels ils s’implantent.

D’après C. Lebur, si le système des cults a pu autant gangréner la société de l’État d’Edo, dans le Sud du Nigeria, et s’étend ensuite à l’international, ‘’c’est parce qu’il s’agit d’abord d’ ’’un sujet extrêmement tabou au Nigeria, personne n’en parle jamais. C’est aussi parce que beaucoup de gens puissants et de politiciens en sont membres. Et dès le départ, les cults ont été instrumentalisés par les militaires, au pouvoir à partir des années 1970 au Nigeria. En fait, ils s’en sont servis contre la jeunesse qui menait la fronde populaire contre les dictatures. Donc, ils ont instrumentalisé les cults, et depuis lors les gouvernements successifs et les politiciens ont tous vu l’intérêt de se servir des cults d’une manière ou d’une autre pour leurs propres intérêts. Donc, il n’y a jamais eu de volontés politiques de venir à bout de ce phénomène au Nigeria. Jamais’’.

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