La cessation des transferts de fonds vers la Somalie ne fera qu’empirer les choses

ecapital
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Degan Ali, directeur exécutif d'Adeso, une agence humanitaire et de développement qui déploie ses activités en Somalie, a déclaré à Nairobi que 40 % des ménages somaliens dépendent des envois de fonds de l'étranger pour assurer leurs dépenses quotidiennes.

"Si la diaspora somalienne ne peut plus envoyer d'argent, les gens qui n'ont pas besoin d'aide humanitaire vont maintenant commencer à en avoir besoin", a déclaré M. Ali lors d'une réunion à Nairobi.

La banque britannique Barclays a annoncé qu'elle va bientôt fermer les comptes des opérateurs de transfert d'argent qui envoient de l''argent en Somalie, en invoquant le risque que l'argent puisse être utilisé pour le blanchiment d'argent ou être envoyé à des terroristes.

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Certaines banques aux Etats-Unis ont déjà cessé de travailler avec les sociétés de transfert d'argent vers la Somalie, arguant que s'il était constaté qu'elles facilitent le transfert d'argent aux terroristes d'Al-Shabaab leurs activités seraient qualifiées de criminelles en vertu de la loi.

Le problème est qu'en l'absence d'une administration centrale dans le pays depuis plus de deux décennies, il n'existe en Somalie aucun bureau d'enregistrement des personnes ou des institutions de régulation financière, ce qui rend le secteur financier très informel.

La situation est aggravée par la présence du groupe terroriste Al-Shabaab, qui est lié à Al- Qaïda, ainsi que par le problème de la piraterie dans le golfe d'Aden et l'océan Indien, où les rançons versées se chiffrent à plusieurs millions de dollars.

Pour Abdirashid Duale, directeur de la société Dahabshiil Group of Companies, l'une des principales sociétés de transfert de fonds vers la Somalie présente dans près de 120 pays à travers le monde, la mesure ne fera qu'accroître l'isolement de la Somalie.

"Les Somaliens auront le sentiment que le monde n'en a pas besoin d'eux (..) Cela créera un ressentiment susceptible d' accroître la criminalité et le terrorisme que la clôture des comptes de transferts de fonds entend pourtant réduire", a déclaré M. Duale.

"Nous avons demandé en vain aux banques internationales et aux autorités du Royaume-Uni de nous dire ce que nous devons faire pour que nous puissions rationaliser le système de transfert de fonds. Nous sommes prêts à faire tout ce qu'ils veulent", a-t-il ajouté.

Environ 1,5 milliard de dollars sont envoyés chaque année en Somalie, selon l'ONG Oxfam. Ce montant est le double de l'aide humanitaire déployée chaque année en Somalie, qui est de l'ordre de 750 millions de dollars.

"Un fonds de versement géré par une agence multilatérale pourrait être une solution provisoire en attendant que la Somalie mette en place un secteur bancaire solide", a déclaré Philippe Lazzarini, coordinateur humanitaire des Nations Unies pour la Somalie.

"Nous comprenons le risque qui pèse sur le secteur bancaire, mais les banques qui font des affaires avec les sociétés de transfert de fonds vers la Somalie doivent fournir les efforts nécessaires", a déclaré M. Lazzarini.

Il a ajouté que les envois de fonds sont un élément vital de l'économie somalienne. "Ces fonds représentent entre un quart et un tiers du produit intérieur brut du pays", a-t-il ajouté.

Selon un rapport publié par Adeso, le centre Inter-American Dialogue et Oxfam, les craintes suscitées par les lois américaines relatives à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d' argent amènent les banques à fermer les comptes bancaires pourtant indispensables des opérateurs de transfert d'argent basés aux Etats-Unis. Et la Grande-Bretagne veut leur emboîter le pas.

D'après le rapport, l'absence d'un système bancaire formel en Somalie fait que les familles risquent désormais de ne plus pouvoir recevoir de la part de leurs amis et parents l'argent dont elles ont tant besoin pour survivre.

Les Somaliens basés aux Etats-Unis envoient chaque année environ 214 millions de dollars à leurs familles en Somalie, une somme pratiquement identique à celle débloquée par les États-Unis au titre de l'aide étrangère en Somalie, dont le montant est estimé à 242 millions de dollars, note le rapport. En outre, plus de 150 millions de dollars sont envoyés depuis la Grande-Bretagne.

"On estime que les transferts de fonds représentent environ un tiers de l'économie de la Somalie, ce qui permet à de nombreuses familles somaliennes de se nourrir. Les régulateurs et les banques se rejettent la balle alors que le système de transfert de fonds est sur le point de vaciller", a déclaré Scott Paul, conseiller en politique humanitaire chez Oxfam.

Selon Adeso, lors de la sécheresse et de la crise alimentaire de 2011 en Somalie, la générosité de la diaspora somalienne a joué un rôle vital en permettant aux familles somaliennes de survivre.

Adeso et d'autres agences humanitaires ont averti qu'en cas de cessation des transferts de fonds vers la Somalie, les envois de fonds ne seront pas seulement réduits, ils risqueront également de s'effectuer clandestinement, ce qui réduit considérablement la transparence et la sécurité du système.

"Plus de la moitié des bénéficiaires de transferts de fonds sont des femmes", selon M. Ali. "L'argent reçu peut représenter plus de la moitié de leurs revenus".

Selon Adeso, les transferts individuels sont généralement de moins de 300 dollars et ne dépassent pas souvent les 35 dollars. Les familles utilisent cet argent pour les dépenses de base comme la nourriture, l'eau, l'éducation et la santé, mais aussi pour faire face aux éventuelles crises.