En Centrafrique, la Russie se fait plus discrète

Afriquinfos Editeur
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Le premier secrétaire de l'ambassade de Russie en Centrafrique Victor Tokmakov (G) et Valery Zakharov (D), nommé conseiller à la sécurité du président de la République Centrafricaine, Faustin Archange Touadéra, à Bangui le 2 août 2018.
Un membre de la protection rapprochée du président centrafricain Faustin Archange Touadéra, composée de membres d’une société privée russe à Berengo, en Centrafrique, le 4 août 2018.

L’image est devenue l’un des symboles des nouveaux appétits de Moscou en Afrique: des mercenaires russes qui patrouillent en armes dans les rues de Bangui, capitale de la République centrafricaine, pays où l’influence de la France a longtemps été incontestée.

Un quartier de Bangui, le 9 avril 2018.
Le drapeau russe flotte au dessus d’un concours de beauté au Stade national de Bangui, le 9 décembre 2018.

Mais après une arrivée remarquée en 2018 jusque dans les chancelleries occidentales, ces patrouilles se sont faites plus rares dans la capitale ces derniers mois. Autre signe d’une volonté de se faire plus discret, les activités de propagande en faveur de la Russie, sur les réseaux sociaux et dans plusieurs médias, connaissent depuis quelques mois une « réduction significative », indique à l’AFP Hans de Marie Heungoup, chercheur à l’International Crisis Group (ICG) et spécialiste de la Centrafrique, pour qui « cette propagande ou publicité est soutenue par les autorités russes ». Alors même que le Kremlin célébrera, lors d’un sommet Afrique-Russie à Sotchi les 23 et 24 octobre, ses liens économiques grandissants avec le continent africain, à Bangui, « les Russes sont plus discrets, ils y ont intérêt », résume Thierry Vircoulon, coordonnateur de l’observatoire Afrique australe et centrale de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Le 26 janvier 2018, une première livraison d’armes est débarquée sur le tarmac de l’aéroport de Bangui M’poko, grâce à une dérogation à l’embargo sur les armes imposé par l’ONU à la Centrafrique au début de la guerre civile, en 2013, quand une rébellion à dominante musulmane avait renversé le régime du président François Bozizé et plongé le pays dans le chaos. Dans la foulée, des instructeurs russes sont envoyés pour assurer la formation d’une armée nationale en reconstruction. En parallèle, apparaissent ces groupes de mercenaires, soupçonnés d’être engagés par Wagner, une entreprise militaire qu’on dit financée par Evgueni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine. Et un fidèle de Prigojine, Valery Zakharov, est nommé conseiller à la sécurité du président de la République Centrafricaine, Faustin Archange Touadéra.

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– « Victoire géopolitique » –

Côté économique, en 2018 aussi, la société russe Lobaye Invest obtient le droit d’exploiter plusieurs mines dans ce pays riche en or et en diamants. Alors que la France, était intervenue dès 2013 avec l’opération Sangaris pour mettre fin aux violences dans le pays, l’effort diplomatique du Kremlin dans l’ancien « pré carré » français irrite Paris. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dénonce ainsi en janvier 2019 une présence russe « récente, significative, antifrançaise dans les propos ». Pris entre Paris et Moscou, le président Touadéra préfère pour sa part affirmer en avril qu’il y a « de la place pour tout le monde en Centrafrique ». Pour les Etats africains, « la Russie offre un package de sécurité sans dette financière, seulement rémunéré par l’attribution de certaines concessions pour des conglomérats privés », estime Arnaud Kalika, ancien analyste à la direction du renseignement militaire français et spécialiste de la Russie. Un modèle déjà expérimenté à Madagascar et au Soudan. « Un pays arrivé depuis moins de trois ans, et devenu le plus influent auprès de la présidence centrafricaine, c’est une victoire géopolitique à peu de frais », juge Hans de Marie Heungoup.

Des ouvriers travaillent dans une mine de diamants à Banengbele, en Centrafrique, le 22 mai 2015.

– « Pause stratégique » –

En septembre 2019, un assouplissement de l’embargo de l’ONU sur les armes est voté à l’unanimité au Conseil de sécurité, signe que les intérêts de la Russie et de la France convergent sur le sujet. Au même moment, sur la scène internationale, les rapports entre les deux pays amorcent un réchauffement. Mais en Centrafrique, l’assouplissement de l’embargo signifie aussi que la Russie n’est plus la seule source possible d’armement. Quant aux formations de militaires centrafricains, elles ne sont plus l’apanage des instructeurs russes. L’UE s’est investie à son tour et a assuré la formation de 1.000 nouvelles recrues en 2019. Et les groupes armés continuent leurs exactions malgré l’accord de Khartoum et les promesses de sécurité du Kremlin. Les partenaires occidentaux assurent également la quasi-totalité de l’aide financière accordée à ce pays à l’économie exsangue. Et la France est passée à la contre-offensive en intensifiant la communication sur ses actions dans le pays, notamment en matière de développement, qui n’est pas « le modèle d’implantation de la Russie », selon Hans de Marie Heungoup.

« La Russie veut récupérer un enracinement diplomatique solide », pense cependant Arnaud Kalika. De l’avis d’experts et de diplomates, même si la Russie marque une « pause stratégique » en Centrafrique, elle est donc loin de remettre en cause une coopération solidement établie. Avec, comme premier horizon, l’élection présidentielle prévue en décembre 2020.

Un soldat français de l’opération Sangaris patrouille à Bangui, le 20 mai 2015.