Cameroun : La production artistique et littéraire en panne

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A commencer par l'Ensemble national créé à la fin des années 1970, l'odyssée actuelle de l'univers des arts et des belles lettres au Cameroun provoque le malaise. Quatre décennies plus tard, cette entité à trois branches (Orchestre national, Théâtre national et Ballet national) du ministère de la Culture, voulue comme la vitrine culturelle officielle, vit une sorte de martyre.

Rémunérés en moyenne 75.000 francs CFA (120 USD) le mois, ses membres anciens en l'occurrence dont « la voix d'or de la chanson camerounaise" Anne-Marie Nzié continuent de tendre les bras au ciel, après de longues années de prestation y compris à l'extérieur lors d'événements artistiques et sportifs tels la Coupe du monde de football, pour implorer l'amélioration de leur statut d'éternels pigistes, c'est-à-dire temporaires, et partant de leurs conditions sociales.

Révélateur de la profonde crise qui affecte l'ensemble du paysage culturel de ce pays dépourvu d'une véritable industrie en la matière, ce malaise suscite l'indignation voire la révolte dans le milieu. Vedette de la chanson connue pour son franc-parler, Ottou Marcellin, un des premiers lauréats en 1982 du concours « Découvertes RFI", appelle les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités pour mettre un terme au désordre caractérisé par une vente libre de produits issus de la piraterie.

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PHENOMENE DE LA PIERATERIE

"La piraterie, c'est une activité commerciale illégale et la première institution qui devrait normalement s'en occuper, c'est le ministère du Commerce. Il se raconte même dans notre milieu qu'au niveau de la piraterie musicale au Cameroun c'est tout un général de l'armée qui est à la tête de cette histoire-là, avec des dizaines de milliards qu'on brasse par an", fulmine le célèbre chanteur à textes.

Découragés par ce phénomène qui a depuis longtemps dépassé la côte d'alerte, les producteurs se sont tournés vers d'autres activités commerciales. Les quelques rares financiers qui s'y aperçoivent encore, en réalité dans l'objectif pour certains de blanchir de l'argent sale, brillent peu par un souci d'exigence d'esthétique pour des textes et une musique de facture, entraînants et enveloppants.

Après le succès planétaire de Manu Dibango, plagié par, entre autres stars du show-biz mondial, Michael Jackson et Rihana, suivi à un degré inférieur par les Vincent Nguini (dont le talent avait séduit l'Américain Paul Simon qui en avait son chef d'orchestre) et autres Richard Bona, peu d'artistes camerounais arrivent à s'imposer sur l'échiquier international.

Même pour la consommation locale, les rythmes nationaux, du makossa au bikutsi en passant par le bend-skin ou le mangabeu, qui tenaient en haleine jadis tout un peuple et au-delà des ses frontières font désormais peu recette. Succédant au dombölö congolais, puis à ses propres ancêtres zouglou et mapouka, le coupé-décalé ivoirien est venu ravir la vedette auprès d'un public peu éclectique.

Outre l'absence d'une remise en cause par la formation de la part des créateurs eux-mêmes et un manque d'intérêt des journalistes, pour la plupart peu outillés à la critique d'art, Ottou Marcellin pointe aussi une exploitation abusive des œuvres. « Au niveau des médias, pour m'arrêter à ce niveau, il n'y a que la CRTV (l'office de radio et télévision public) qui paie les droits d'auteur. Les autres radios et télévisions du Cameroun ne paient rien, depuis toujours".

PROBLEME DE QUALITE DES ŒUVRES

L'universitaire et directeur des Editions CLE (Centre de littérature évangélique) Marcelin Vounda Etoa pense pour sa part que qu'« il y a une vitalité relative, mais il y a surtout un problème de qualité de ce qui est produit. Dans le domaine de la littéraire, si vous vous limitez aux statistiques, on produit aujourd'hui au moins deux fois plus de livres qu'il y a dix ans".

« Si vous prenez un genre comme le roman, il y a une multiplication exponentielle de romanciers, avec les facilités qu'accordent les nouvelles technologies, avec les facilités que donnent un certain nombre d'éditeurs. Puisque, 90% de ces œuvres-là sont produites à compte d'auteur", explique cet homme de culture rompu à la critique d'art.

Ce choix des auteurs se justifie par le fait qu'ils s'estiment peu avantageux par le système de commercialisation des productions littéraires au Cameroun. Contre 20% aux diffuseurs et 10 à 20% autres aux libraires, seuls 10% des revenus de la vente sont rétribués à l'auteur.

Pour les livres publiés à compte d'auteur, Vounda Etoa relève cependant un problème de visibilité, situé à deux points de vue. « Le premier, c'est que la qualité des livres publiés à compte d'auteur n'est pas garantie. On va multiplier les livres sans nécessairement faire attention à la qualité de ce qui paraît, puisque les livres sont achetés avant qu'ils ne paraissent. Et c'est l'auteur qui les rachète et qui va essayer de faire le rabatteur dans son entourage pour vendre son propre livre".

"Deuxième problème, précise-t-il encore, ces livres-là ne vont pas entrer dans les circuits commerciaux classiques. Or, lorsqu'un livre est produit par un éditeur, mis dans le circuit classique de la diffusion, l'auteur n'a pas besoin de bouger le petit doigt pour que son livre se retrouve dans les bonnes librairies disséminées à travers le pays".

Ajouté à Calixthe Beyala, à la suite des Mongo Beti, Ferdinand Léopold Oyono, Guillaume Oyono Mbia, les références de la production littéraire camerounaise tournent pour l'essentiel autour d'un cercle restreint d'écrivains internationalement reconnus : Gaston-Paul Effa, Léonora Miano, Eugène Ebodé.

Comme Beyala d'ailleurs, ces trois mousquetaires constituent en quelque sorte une légion étrangère résidant en France. Dans les rayons des librairies locales, leur présence est peu perceptible. Et pour cause ? L'une des tares des Camerounais tient à une passion très limitée pour la lecture, une situation en partie justifiée par un manque notoire d'espaces consacrée à ce loisir dans le pays, à commencer par la capitale Yaoundé.

C'est le même constat pour le cinéma où, jusqu'aux années 1990, Yaoundé disposait d'une dizaine de salles de projection, créées à la faveur de financements chiffrés à des centaines de millions des pouvoirs publics à l'entreprenariat privé. Après avoir tourné le dos à cette activité, presque tous ces espaces de divertissement ont été transformés en lieux de commerce.

GESTION CAHOTEUSE DU DROIT D'AUTEUR

A cause déjà d'une chute de production, ces salles diffusaient principalement des œuvres étrangères, avec une part belle aux productions issues des studios hollywoodiens, lors de leurs dernières années d'existence. La puissance cathodique aidant, avec évidemment l'expansion du câble, la tendance dans les ménages est aujourd'hui à la consommation de sitcoms venues d'autres pays africains comme la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le cinéma atypique nigérian.

"Les autres se sont convertis au numérique et nous, nous sommes encore un peu nostalgiques de l'ancien cinéma. Or, le numérique est une technique adaptée aux pays comme le nôtre, qui ont des ressources limitées. Avec toute l'ingéniosité qui caractérise nos sociétés, où les gens ont le génie du bricolage, il vaut mieux qu'on commence maintenant à faire un type de cinéma, qui sera notre cinéma", suggère Marcelin Vounda Etoa.

Le Cameroun, qui manque cruellement aussi de salles de spectacle, est néanmoins un des rares pays en Afrique à pouvoir disposer d'un cadre juridique et institutionnel. Sur les cendres de la défunte Société civile nationale du droit d'auteur (SOCINADA), quatre organismes de gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins existent, dans les domaines de la musique, des arts dramatiques et cinématographiques, des arts plastiques puis de la littérature.

Un hic cependant : la gestion cahoteuse de ces structures. « L'histoire du droit d'auteur au Cameroun, c'est un peu comme l'histoire du football. Les gens quand ils veulent faire la corruption, ils font à ce que dans un secteur l'argent puisse circuler en liquide. Notamment, dans le domaine du droit d'auteur, il y a beaucoup de corruption, beaucoup de détournements de cet argent-là", fulmine Ottou Marcellin.